Clap de fin sur cette 74e édition de la Berlinale ! L’équipe du Polyester était présente sur place du premier au dernier jour et nous avons vu une soixantaine de longs métrages ainsi qu’une trentaine de courts. Quels ont été, selon nous, les temps forts et les tendances de cette année ? Voici notre bilan, accompagné de notre couverture composée de plus de 90 articles !
La Berlinale s’est achevée ce weekend avec la remise de l’Ours d’or à la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop pour son incroyable long métrage Dahomey. Après Sur l’Adamant, c’est la deuxième année de suite qu’une œuvre documentaire remporte le prestigieux trophée berlinois (et la quatrième fois en huit ans, si l’on compte l’inclassable Touch Me Not comme un doc). Cette récurrence ne chagrinera que ceux qui confondent documentaires et reportages, et n’étonne justement pas de la part d’un festival ayant su, année après année, donner une place de choix aux documentaires. A la Berlinale, ces derniers ne sont en effet pas parqués dans leur propre catégorie, et concourent sur le même plan que les films de fiction. Encounters, l’autre section compétitive du festival, a d’ailleurs également été remportée par un doc coproduit par la France : DIRECT ACTION de Guillaume Cailleau et Ben Russell. 2024 fut en effet une édition particulièrement riche en docs, du plus petit format (plusieurs étaient en lice pour l’Ours d’or du court métrage) au plus long (présenté hors compétition, le Grec exergue – on Documenta 14 annonçait une durée de quatorze heures !), du plus ludique (on a vu des chats partout, de ceux de Peaches à ceux du temple sacré de The Cats of Gokogu Shrine) au plus politique.
Politique, Dahomey l’est de manière évidente. Mati Diop y filme en effet les passionnantes questions posées par le retour au Bénin d’œuvres volées lors de l’invasion des troupes coloniales françaises. Mais Dahomey est aussi à sa manière un film futuriste, dont l’étonnante voix off venue d’outre-tombe évoque le merveilleux comme la science-fiction. Cet intrigant paradoxe symbolise à lui tout seul cette 74e édition, qui fut aussi riche en films fantastiques qu’en documentaires. Sans le faire exprès, nous avons ainsi débuté le festival avec la projection d’un film d’exorcisme (The Adamant Girl, l’un de nos grands coups de cœur de cette édition), et l’avons terminé avec un autre film d’exorcisme (le barré Exhuma). Entre les deux, on n’a pas pu s’empêcher de remarquer que beaucoup de ces films irréels étaient aussi des films queer. De Love Lies Bleeding à Cidade; Campo en passant par The Devil’s Bath ou Cuckoo (qui concouraient tous pour le Teddy), plusieurs des cinéastes les plus excitants de cette année ont utilisé l’artifice surnaturel pour inventer de nouvelles représentations, ouvrir des perspectives vers de nouveaux futurs.
Ce grand écart entre réel et irréel exprime l’impression bien particulière que nous ont donné la plupart des meilleurs films de cette édition : celle de chercher à concilier des contraires forts, de réussir les grands écarts les plus improbables. Dahomey se tourne autant vers le passé que vers l’avenir, dans L’Empire, Brunot Dumont mixe Bresson et Hilguegue, l’inclassable Pepe passe du doc animalier à la télénovela en passant par l’animation, l’Américano-Croate Through the Graves the Wind Blows est autant une enquête grave sur le nazisme en ex-Yougoslavie qu’une comédie potache sur des touristes bourrés, tandis qu’Al sol, lejos del centro (notre grand favori parmi les courts métrages) parvient à combiner récit romantique et cartographie satellite de rues anonymes. Ce double moteur puissant, on le retrouve jusque dans la liste des invité.e.s du Festival, capable de donner un micro de conférence aussi bien à Tsai Ming-liang qu’à Peaches, que nous avons eu la chance et l’excitation d’interviewer.
Toutes trois d’un très bon cru, les sections Encounters, Forum et Berlinale Shorts ont excellé. Il est vrai que la compétition principale a proposé un nombre un petit peu plus important que d’habitude de films ne nous ayant pas convaincus, mais peu importe. Faisons comme le jury et oublions-les. Lupita Nyong’o et ses juré.e.s ont en effet composé un palmarès quasi sans faute à nos yeux. En faisant mentir les prédictions et statistiques qui donnaient gagnant le duo de cinéastes iraniens assignés à résidence (pour le sympathique et classique My Favorite Cake), ce jury a privilégié les propositions cinématographiques les plus potentiellement clivantes, donc les plus excitantes, tels la comédie extraterrestre de Bruno Dumont, le film en costume horrifique de Severin Fiala et Veronika Franz, le grand-huit morbido-rigolo Dying et l’angoissante comédie-rébus A Different Man. Bravo.
Cette 74e édition était hélas déjà la dernière pour le duo formé par Carlo Chatrian et Mariette Rissenbeek, arrivé à la tête du festival berlinois en 2019. A l’heure où certains lieux de projections historiques s’apprêtent à déménager, l’avenir du festival se poursuit en pointillés. On est d’ores et déjà très curieux de voir ce que proposera dès 2025 la nouvelle directrice artistique de la Berlinale, la Britannique Tricia Tuttle, et on a envie de voir dans le sacre de Dahomey le symbole d’une transition puissante et magique entre le passé et le futur du festival.
NOS CRITIQUES
Compétition
A Traveler’s Needs, Hong Sangsoo
Another End, Piero Messina
Architecton, Victor Kossakovsky
Black Tea, Abderrahmane Sissako
La Cocina, Alonso Ruizpalacios
Dahomey, Mati Diop
The Devil’s Bath, Severin Fiala & Veronika Franz
A Different Man, Aaron Schimberg
Dying, Matthias Glasner
L’Empire, Bruno Dumont
From Hilde, With Love, Andreas Dresen
Gloria!, Margherita Vicario
Hors du temps, Olivier Assayas
Langue étrangère, Claire Burger
My Favourite Cake, Behtash Sanaheeha & Maryam Moghaddam
Pepe, Nelson Carlos De Los Santos Arias
Shambhala, Min Bahadur Bham
Small Things Like These, Tim Mielants
Sons, Gustav Möller
Who Do I Belong To, Meryam Joobeur
Berlinale Special
Abiding Nowhere, Tsai Ming-liang
Chime, Kiyochi Kurosawa
Cuckoo, Tilman Singer
Love Lies Bleeding, Rose Glass
Encounters
Arcadia, Yorgos Zois
Cidade; Campo, Juliana Rojas
Dormir de olhos abertos, Nele Wohlatz
The Fable, Raam Reddy
Favoriten, Ruth Beckermann
The Great Yawn of History, Aliyar Rasti
Ivo, Eva Trobisch
Matt and Mara, Kazik Radwanski
Some Rain Must Fall, Qiu Yang
Through the Graves the Wind is Blowing, Travis Wilkerson
Tu me abrasas , Matias Pineiro
Une famille, Christine Angot
Panorama
Afterwar, Birgitte Stærmose
All Shall Be Well, Ray Yeung
Brief History of Family, Lin Jianjie
Crossing, Levan Akin
Pendant ce temps sur Terre, Jérémy Clapin
Rising Up at Night, Nelson Makengo
Scorched Earth, Thomas Arslan
Teaches of Peaches, Philipp Fussenegger & Judy Landkammer
Forum
The Adamant Girl, Vinothraj PS
All the Long Nights, Shô Miyake
The Cats of Gokogu Shrine, Kazuhiro Soda
The Editorial Office, Roman Bondarchuk
Exhuma, Jang Jae-hyun
In the Belly of a Tiger, Siddartha Jatla
Intercepted, Oksana Karpovych
Oasis, Tamara Uribe & Felipe Morgado
Oasis of Now, Chia Chee Sum
La Piel en primavera, Yennifer Uribe Alzate
Reas, Lola Arias
Republic, Jin Jiang
Semaine sainte, Andrei Cohn
Sleeping With a Tiger, Anja Salomonowitz
Generation
Reinas, Klaudia Reynicke
Young Hearts, Anthony Schatteman
Semaine de la critique
An Evening Song (for Three Voices), Graham Swon
Camping du lac, Eléonore Saintagnan
+ Nos courts métrages favoris de cette édition
NOS ENTRETIENS
- « Quand j’ai accepté de faire ce documentaire, j’ai donné comme condition d’à tout prix inclure des images de moi du temps où j’enseignais à des enfants » | notre entretien avec Peaches sur Teaches of Peaches (Section Panorama)
- « Je voulais véritablement traiter de Kinshasa comme d’un personnage à part entière » | notre entretien avec Nelson Makengo sur Rising Up at Night (Section Panorama)
- « Je sentais qu’il serait plus efficace de mêler à la fois des aspects agréables et désagréables, le sentiment de paix et de violence dans l’esprit des spectateurs » | notre entretien avec Chia Chee Sum sur Oasis of Now (Section Forum)
- « Ces images étaient chargées d’une violence institutionnelle, mais aussi hantées par des rêves d’avenirs non réalisés » | notre entretien avec Zuza Banasinska sur Grandmamauntsistercat (Section Forum Expanded)
- « Un monde où les notions traditionnelles du temps semblent s’évanouir » | notre entretien avec Yuyan Wang sur The Moon Also Rises (Section Berlinale Shorts)
- « J’ai soif de récits qui réfléchissent à notre existence maudite » | notre entretien avec Mili Pecherer sur We Will Not Be the Last of Our Kind (Section Berlinale Shorts)
- « Les images et les sons qu’on a en mémoire sont toujours incomplets et flous, et c’est ce sentiment-là qui m’a guidée » | notre entretien avec Wenqian Zhang sur Remains of the Hot Day (Section Berlinale Shorts)
- « Je veux parler de l’empathie, quelque chose qui est très présent dans les relations entre les animaux et les humains » | notre entretien avec Philip Ullman sur Preoperational Model (Section Berlinale Shorts)
- « Nous croyons en un cinéma d’apparitions, d’images fantomatiques qui peuvent nous effrayer tout en nous donnant envie de jouer avec » | notre entretien avec Luciana Merino et Pascal Viveros sur Al sol, lejos del centro (Section Berlinale Shorts)
- « Cura Sana est une histoire sur les conséquences de la violence et sur le fait qu’il n’est jamais trop tard pour choisir l’amour » | notre entretien avec Lucìa G. Romero sur Cura sana (Section Generation)
NOS AUTRES ARTICLES
Le palmarès complet
Le palmarès de la rédaction
Le palmarès des Teddy Awards
Les films en compétition pour le Teddy Award
Notre page Berlinale et nos news quotidiennes
Dossier réalisé par Gregory Coutaut le 26 février 2024.
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