Critique : L’Empire

Entre Ma Loute et La Vie de Jésus, entre le ciel et la terre, Bruno Dumont nous offre une vision caustique, cruelle et déjantée de La Guerre des étoiles.

L’Empire
France, 2024
De Bruno Dumont

Durée : 1h50

Sortie : 21/02/2024

Note :

TOUT ET SON CONTRAIRE

« Qui peut bien deviner sur quelles cases funambules atterrira prochainement Dumont ? ». Cette question, nous la posions en ces termes dans notre critique de son précédent long métrage France, que nous décrivions alors comme le film le plus imprévisible de son auteur. Eh bien France n’est pas longtemps resté le film le plus bizarre de Dumont, et on aurait eu bien du mal à prédire la case sur laquelle le cinéaste atterrit aujourd’hui : la science fiction, ou plus exactement le space opéra des studios américains. De la campagne française au désert américain, Dumont a toujours su filmer les grands espaces (et il le prouve à nouveau ici), peut-être ne devrait-on donc pas être si étonné de le voir s’attaquer au plus grand des espaces : celui du ciel. C’est d’ailleurs en regardant droit dans les cieux que s’ouvre L’Empire, enchaînant avec des plans sur les bancs de sable familiers qui peuplent son cinéma. Faut-il voir cette fois dans ces dunes un clin d’œil au classique de la SF du même nom?

Le cinéma de Dumont a énormément évolué en plus de 25 ans de carrière et sa filmographie a déjà visité différents pôles qu’on pensait impossible de relier, de la radicalité esthétique des début à la comédie cartoon de ces dernières années. L’Empire est un sorte de maxi best of, et pas seulement parce qu’il est tourné dans le même village que P’tit Quinquin et Coincoin et les z’inhumains (on y retrouve d’ailleurs les comédiens interprétant les deux enquêteurs farfelus et incapables). C’est une revisite qui superpose allègrement les deux visages a priori opposés de sa filmographie : la grâce derrière le portrait social et le sérieux derrière la farce bouffonne. Mais L’Empire est surtout une compilation qui refuse de stagner, poussant le curseur de l’absurdité encore plus loin. Comme la venue des z’inhumains sur Terre, comme les dialogues entre Dieu et Jeannette, la rencontre de ces deux mondes cinématographiques est ici complètement tarée, pour notre plus grand plaisir.

L’Empire pourrait virer au grand n’importe quoi mais plutôt que sur tout et son contraire, l’ensemble est bâti sur la rencontre de contraires très forts : un réalisme social fait d’accents régionaux qui rencontre un récit épique et mythologique. Des échanges banals au marché (les moments les plus drôles du film) face à d’héroïques tirades, des nappes en plastique contre des vaisseaux pharaoniques, la Manche face à Hollywood, les mémères contre les Dieux, Bresson vs Hilguegue. Souvent ce mélange fait rire, mais plus souvent encore il sidère. Dumont n’a peur de rien et surtout pas de prendre le risque du ridicule. Une qualité en or qui nous fait écarquiller les yeux plus grands qu’ailleurs. Surtout, il ne sacrifie pas son travail esthétique sur l’autel de la comédie : potache ou gracieux, L’Empire est surtout superbe du premier au dernier plan, vraiment.

Par un étrange mouvement de balancier, c’est comme si au fil des années les films de Dumont étaient devenus de plus en plus accessibles et généreux et pourtant de plus en plus rétifs à une analyse directe. De même que France était une sorte de fascinant rébus face auquel il était difficile de trancher une interprétation nette (sous ce titre mastodonte, le film était-il oui ou non une allégorie du pays ?), L’Empire parle-t-il oui ou non de la France ? Dumont superpose différents repères géographiques et balance carrément l’Elysée dans l’espace, et pourtant derrière ces symboles, on ne peut s’empêcher de penser que l’explication finale importe peu. Ce n’est pas que L’Empire n’a pas de sens, c’est plutôt que Dumont nous laisse suffisamment de place pour nous repaitre de ce voyage imprévisible et accepter sa folie avec gratitude. L’ultime lâcher-prise derrière un très grand savoir-faire, voilà peut-être la recette de ce film qui nous envoie en l’air de façon unique.

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par Gregory Coutaut

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