Berlinale | Critique : Love Lies Bleeding

Lou, gérante solitaire d’une salle de sport, tombe éperdument amoureuse de Jackie, une culturiste ambitieuse. Leur relation passionnée et explosive va les entraîner malgré elles dans une spirale de violence.

Love Lies Bleeding
Etats-Unis, 2024
De Rose Glass

Durée : 1h44

Sortie : 12/06/2024

Note :

THE BOYS WANNA BE HER, THE GIRLS WANNA BE HER

La Britannique Rose Glass a été révélée avec son prodigieux premier long métrage, Saint Maud, un film d’horreur qui revisitait des archétypes du fantastique gothique européen. En changeant de continent avec son nouveau film, Love Lies Bleeding, Glass s’attaque cette fois à des archétypes très américains – le désert, les flingues, le FBI et l’Americana déglinguée. S’il y a de légères touches d’horreur dans Love Lies Bleeding, ce nouveau film s’inscrit davantage dans les codes du thriller brutal 80s. On a pu voir un nombre incalculable de fois des films de genre se réclamant des années 80, tout en ayant une conception un peu restreinte (des néons, du synthé, du sérieux). Glass cinéphile a tout compris à ce qui fait l’une des singularités d’une bonne partie des films de genre de cette décennie : des motifs dramatiques certes, mais des films qui réservent une grande dose de fun.

En un cut où l’on passe d’une salle de gym (où tout le monde semble s’entrainer pour on ne sait quel genre de guerre) aux chiottes immondes de l’établissement que Lou (Kristen Stewart) vient de déboucher, Love Lies Bleeding nous fait un clin d’œil : malgré tous les râles virils et les gros muscles, le film est avant tout un tour de manège qui ne se prend pas au sérieux. C’est une fantaisie, comme le suggère ce plan où la nuit au-dessus de la salle de sport est tellement étoilée qu’on croirait voir un décor de conte de fées. Glass démontre comme dans Saint Maud un grand talent pour installer une atmosphère et son film, à la bande son irrésistible, est immédiatement séduisant.

Lou fait la rencontre de Jackie, une bodybuildeuse en escale dans ce coin parfaitement paumé des Etats-Unis avant de participer à un concours à Vegas. Dans ce rôle, Katy O’Brian est physiquement impressionnante ; l’actrice est d’une cinégénie qui brûle la pellicule. Elle forme un couple parfait avec Stewart (cette dernière cachée dans le placard lors d’une scène ironique), mais leur romance ne sera pas un lit de roses. « Nous avons situé le film dans les années 80 car ça nous semblait être la décennie ultime de l’excès » commente la réalisatrice. De fait, des éclats extraordinaires de violence dans ce no man’s land désertique au vacarme hallucinatoire de Las Vegas, Love Lies Bleeding n’a aucune velléité d’être dans la retenue. Les références citées par Glass (qui vont de Showgirls de Paul Verhoeven à Snake of June de Shinya Tsukamoto) sont plutôt du genre à appuyer sur la pédale d’accélérateur.

C’est peut-être notre seule vraie réserve concernant le film : la progression de son scénario est plus laborieuse dans son dernier tiers. Mais le film, dans son ensemble, est d’une générosité extrêmement jouissive – tout film de pur divertissement devrait être aussi bon que ça. Au-delà de ses réjouissantes étincelles, Love Lies Bleeding sait aussi être un récit féministe et lesbien galvanisant. Certains éléments du scénario laissent imaginer une réimagination utopique de Thelma & Louise dont le fantôme plane sur Love Lies Bleeding. Les inspirational quotes pour mecs dans la salle de sport ne semblent être que des menaces de souffrance – Jackie, de son côté, admire un panneau follow your dream accroché dans la rue. « Tout le monde peut se sentir fort avec un morceau de métal entre les mains ; je préfère être ma propre force », affirme cette dernière, le corps sculpté. Sa puissance contamine le long métrage de manière excitante.

Le premier plan de Love Lies Bleeding donne le sentiment que l’on regarde au fond d’un précipice. La perspective est, en réalité, inversée : ce qu’on voit, c’est le ciel depuis le ravin. Ce renversement préfigure ce que Love Lies Bleeding va généreusement proposer : un film qui voit toujours plus grand que ce que l’on imagine, qui ne se refuse rien, jusqu’à une inoubliable idée finale qu’il serait criminel de dévoiler. « Le corps accomplit ce à quoi l’esprit croit » dit l’une des affiches croisées dans le film ; le cinéma de Rose Glass semble avoir le même pouvoir.

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par Nicolas Bardot

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