Festival CPH:DOX | Critique : Abiding Nowhere

Le promeneur au crâne rasé et vêtu d’une robe rouge est pieds nus. Il marche lentement mais résolument à travers la forêt, sur les pierres et les prairies.

Abiding Nowhere
Taïwan, 2024
De Tsai Ming-liang

Durée : 1h19

Sortie : –

Note :

JE VAIS VITE

Abiding Nowhere (« qui ne réside nulle part » en français) est le dixième volet de la série The Walker de Tsai Ming-liang. Entamée en 2012, cette œuvre auquel le cinéaste taïwanais a presque exclusivement consacré toute la dernière décennie (les fictions Les Chiens errants et Days ainsi que le doc Your Face font exception) se compose de courts et longs métrages mettant chacun en scène Lee Kang-Sheng, dont la marche délibérément ralentie à l’extrême se situe quelque part entre la danse, le mime et la méditation. De par leur lenteur radicale et leur absence de trame narrative classique, les différents volets de The Walker ont été présentés aussi bien dans des festivals de cinéma que dans des manifestations artistiques, mais comme le réalisateur l’a lui-même malicieusement rappelé au public lors de la première d’Abiding Nowhere à la Berlinale : « J’espère qu’en sortant vous serez bel et bien convaincus que vous avez vu un vrai film de cinéma ».

La question de ce qui caractérise la frontière entre cinéma et art vidéo est passionnante mais Tsai Ming-liang est davantage intéressé par les questions que les réponses, et parmi ses œuvres, The Walker est sans doute la plus mystérieuse, la plus poétiquement retorse aux froides analyses. Abiding Nowhere ne filme presque rien d’autre qu’un moine qui marche au ralenti. C’est tout, radicalement tout. Voilà du slow cinéma poussé a l’extrême, poussé en direction d’autre chose, dilaté jusqu’à créer un drôle d’effet. Il est tentant d’empiler les pistes d’interprétation, d’autant plus que la longueur des plans invite régulièrement notre esprit au vagabondage (mettons un point sur ce i-là : si fascinant qu’il soit, Abiding Nowhere est aussi un test de patience). Mais cette promenade est aussi une expérience de lâcher-prise presque physique, une invitation à entrer et sortir des scènes à son propre rythme en faisant fi des cadres et barrières temporels traditionnels.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sens à chercher dans cette déambulation. Les précédents volets de The Walker se déroulaient à différents endroits du globe (Hong-Kong, Tokyo, Marseille…) et c’est cette fois à Washington que Tsai Ming-liang a posé sa caméra contemplative. Pourquoi ? On débarque justement sans contexte devant ces monuments historiques, dans ces hangars déserts où ces rues animées. Ces dernières sont l’occasion pour le cinéaste d’accorder son soin habituel à l’habillage sonore, reconstituant hors-champ la frénésie de la ville traversée de façon quasi-fantasmagorique par ce moine-marcheur. Un contraste éloquent qui sert de moteur aux meilleurs moment d’Abiding Nowhere, qui ne manque d’ailleurs pas d’humour (on y croise quelqu’un portant un t-shirt disant « c’est l’heure de la pause »). Dans une nature sans âge ou face à aux antiquités d’un musée, Tsai Ming-liang nous invite à suivre son protagoniste dans ses pas de géants, traversant les frontières et le temps à la fois.

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par Gregory Coutaut

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