Berlinale | Critique : A Traveler’s Needs

Elle vient de France. Elle joue de la flûte à bec dans un parc. N’ayant aucun moyen de subsistance, on lui a conseillé d’enseigner le français. Elle aime s’allonger sur des rochers et s’en remettre au makgeolli (alcool de riz coréen) pour se réconforter.

A Traveler’s Needs
Corée du Sud, 2024
De Hong Sangsoo

Durée : 1h30

Sortie : –

Note :

GUIDE DE ROUTARDE

« Ce sera facile » prévient Iris (Isabelle Huppert) dans sa première réplique de A Traveler’s Needs, nouveau film de Hong Sangsoo dévoilé en compétition à la Berlinale. Facile, parce que nous sommes en terrain familier chez Hong Sangsoo ? Qu’on a déjà vu Huppert chez le cinéaste ? Parce que l’on retrouve vite la limpidité et la minimalisme du maître coréen ? Rien n’est jamais si facile et évident chez Hong, qu’il s’agisse de ses dispositifs de mise en scène et de narration ou des sentiments toujours mystérieux et indéfinissables qu’il tente de dépeindre. « Ce sera facile » prévient Iris, et ses interlocutrices ou interlocuteurs sont bien forcé.e.s de la croire puisqu’elle est leur enseignante.

Iris gagne un peu d’argent en enseignant le français, mais elle n’est pas vraiment une prof comme les autres. Iris n’a pas besoin de manuel, et semble faire écho à Hong Sangsoo et à son écriture en work-in-progress. Les cours d’Iris ne ressemblent jamais vraiment à des cours : est-elle la gentille escroc d’une comédie chipie, ou une mystérieuse sage qui ausculte les sentiments cachés de ses élèves ? Probablement un peu des deux et voilà qui constitue une solide moteur de comédie. « Que ressentez-vous vraiment à l’intérieur ? » demande Iris avec insistance. C’est une question que l’on pourrait poser à pratiquement tous les personnages de Hong Sangsoo. Ces mêmes personnages qui pourraient se demander, comme le suggère Iris : « qui est cette personne en moi ? ».

On retrouve dans A Traveler’s Needs la difficulté à dire et articuler ce que l’on ressent, ce que l’on ressent vraiment – barrage de la langue étrangère ou non. A l’image d’un small talk inconséquent, tout le monde se met à dire la même chose, sans réfléchir, de manière à la fois absurde, drôle et émouvante. Une maladresse sociale, dans ce film où même les bises sont maladroites. Quelle langue les personnages de Hong Sangsoo ont-ils en commun ? Certainement la poésie, écrite sur les murs, un langage codé et précieux qu’on ne doit pas abandonner, écouté même dans une langue étrangère qu’on ne comprend pas.

C’est un discret chant d’amour à la poésie (les poèmes écrits, mais aussi la poésie des rapports humains). C’est aussi, et on ne le perd pas de vue, une singulière comédie dans laquelle Isabelle Huppert excelle. Elle incarne un personnage magnétique, venue d’on ne sait où et qui disparaît en un clin d’œil, comme une apparition surnaturelle. Même filmée en méga gros plan, Iris reste un mystère captivant – et poétique. A ce stade d’une carrière particulièrement riche, A Traveler’s Needs se paye le luxe de montrer une Huppert qu’on n’a peut-être jamais vue avant – même sous la direction de Hong Sangsoo (et le film est d’ailleurs moins fort lorsqu’elle n’est plus à l’écran). A Traveler’s Needs ressemble à une sorte de manuel de vie mais sans aucune règle établie. On connaît cette histoire, ce type de film de Hong Sangsoo ? Comme on l’entend dans cette nouvelle beauté : « mon chemin est toujours un nouveau chemin ».

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par Nicolas Bardot

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