Festival CPH:DOX | Critique : Architecton

Une méditation sur l’architecture, et sur ce que révèlent la conception et la construction de bâtiments du passé comme du présent.

Architecton
Allemagne, 2024
De Victor Kossakovsky

Durée : 1h38

Sortie : –

Note :

DES MOTS DÉMOLITION

Le cinéaste russe Victor Kossakovsky avait déjà stupéfait le public de la Berlinale en 2020 avec Gunda, fabuleux documentaire sur un sujet pourtant riquiqui : un adorable petit cochon. Virage net après ce séjour à la ferme : d’une ambition aussi imposante que son étrange titre, Architecton brasse les époques, les cultures et les langues. le film vient clore une trilogie contemplative entamée par le cinéaste en 2011 avec ¡Vivan las antípodas! et poursuivie en 2018 Aquarela, qui dépeignait le rapport des humains avec l’élément aquatique dans tous ses états. Dans ce nouveau documentaire, c’est le règne minéral qui est scruté par la formidable caméra de Kossakovsky.

De quoi parle exactement Architecton ? La réponse n’est pas évidente d’entrée de jeu (est-ce par malice que le cinéaste ne formule les questions qui le passionnent qu’à la toute fin ?) mais peu importe. Le film s’ouvre sur des images captées par drones d’immenses barres d’immeubles ukrainiens éventrées et abandonnées, où subsiste un drapeau ou un slogan « Dehors, la Russie ». Plus tard, on croise d’autres images de destruction due au tremblement de terre de 2023 en Turquie. Loin d’être une compilation catastrophiste de ruines bétonnées, Architecton s’intéresse beaucoup au phénomène inverse : des constructions humaines en pierre datant d’il y a plusieurs siècles voire plusieurs millénaires et qui tiennent toujours debout. L’indestructible mis face à l’éphémère.

Kossakovsky ne fait pas du décoratif à la Yann Arthus-Bertrand et garde la question humaine au cœur de ce double portrait. Outre le spectre de la guerre, Architecton revient ainsi régulièrement filmer un architecte construisant un mystérieux cercle minéral dans son jardinet. Trop énigmatique pour ne pas devenir vite répétitive, cette partie-là du documentaire ne fait pas le poids par rapport aux scènes dénuées de présence humaine, ou la caméra hyper précise de Kossakovsky filme la pierre comme on ne l’a jamais vue. En un ralenti extrême, en un zoom arrière sans fin, le cinéaste change la nature et l’échelle de ce qu’il filme jusqu’à un vertige qui mérite d’être découvert sur les plus grands écrans, les yeux écarquillés.

Des explosions contrôlées dans une mine à ciel ouvert donnent ainsi l’impression d’assister en direct à la naissance d’immenses chaînes de montagne. Des murs de roches en mouvement dansent sous nos yeux dans des images à la netteté et la densité dingues, le minéral devient presque liquide, aérien, jamais vu. On a l’impression d’assister à un spectacle qui n’est pas fait pour les yeux humains mais ceux des Dieux façonnant les montagnes et continents de leurs mains, comme si le règne minéral revenait à un état sauvage datant d’avant toute intervention humaine. Architecton décolle de la simple captation pour donner vie à un univers fantastique, proche d’une science fiction post-apocalyptique.

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par Gregory Coutaut

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