Festival CPH:DOX | Critique : Oasis

Octobre 2019, peu avant la pandémie de Covid-19. Des propositions d’augmentation des tarifs des transports publics ont provoqué des manifestations dans la capitale chilienne. Elles se sont répandues comme une traînée de poudre dans la majeure partie du pays et se sont transformées en un mouvement en faveur d’une réforme constitutionnelle et économique.

Oasis
Chili, 2024
De Felipe Morgado & Tamara Uribe

Durée : 1h20

Sortie : –

Note :

MIRAGE

Le titre Oasis vient de propos tenus par l’ancien président chilien Piñera, estimant en 2019 que le pays était une oasis de réussite en Amérique Latine. En un cut, le film nous montre des eaux mousseuses aux pieds d’usines, dans lesquelles se baignent des habitant.e.s. Des touristes viennent de loin pour voir ce Chili, et admirer par exemple le plus haut building du continent. Pourtant, peu après la déclaration de Piñera, le pays s’est enflammé. La révolte, à la télévision, a pu être commentée comme étant « idiote, violente, injustifiée » avec cette condescendance visiblement aussi universelle que contractuelle des éditorialistes.

Oasis montre le peuple dans la rue qui scande son doit à la dignité, et dont « la rage est réelle ». Une nouvelle constitution est espérée pour remplacer celle héritée de la dictature militaire. Felipe Morgado et Tamara Uribe (et derrière le duo, tout un collectif de cinéastes également cités au générique) dépeignent le chaos de l’intérieur, avec les risques que cela comprend, dans un film qui apporte une nouvelle pièce au puzzle international de l’ACAB. Celles et ceux qui ont le status quo cher au cœur diront que la révolution se mène dans les urnes – c’est justement suite à ces intenses mouvements de protestation qu’une nouvelle constitution va être envisagée.

Le film, sans commentaire, monte des images sans en donner le contexte, transmet la parole d’élu.e.s dont on n’identifie la couleur politique qu’aux propos qu’ils et elles finissent par tenir. Les scènes sont sans coupe, le montage entre elles articule la réflexion et invite le public à être actif, à prendre part aux conversation. C’est l’une des forces d’un documentaire sur une situation spécifique, mais qui a aussi une portée universelle. Comment réagir et s’organiser quand un désir d’égalité est perçu par les dominants comme une dépossession ? Quand un pays riche ne s’adresse qu’à une élite blanche ? Oasis dépeint la convergence des luttes entre les peuples natifs, les femmes, les personnes queer. Il fait également le portrait d’une autre convergence, d’une cohérence limpide : les négationnistes nostalgiques de Pinochet, hurlant leur homophobie dans la rue et ricanant face au Covid.

La nouvelle constitution concerne tout le monde, elle est dans toutes les bouches, elle est affichée dans le métro sur un écran lumineux qui laisse place, quelques instants plus tard, à une publicité pour les Doritos. « Le Chili s’est réveillé », mais le Chili rêve t-il ? Oasis relaie les espoirs et les désillusions, un élan et un sentiment d’impuissance, face à une fracture violente et profonde dans la population. Une oasis pour certains, mais un mirage pour beaucoup d’autres.

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par Nicolas Bardot

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