Berlinale | Critique : Through the Graves the Wind is Blowing

Un détective frustré tente d’élucider une série de meurtres à Split, en Croatie, où l’éclatement de la Yougoslavie a laissé des traces.

Through the Graves the Wind is Blowing
Etats-Unis, 2024
De Travis Wilkerson

Durée : 1h24

Sortie : –

Note :

HISTOIRE D’EN RIRE

Through the Graves the Wind Blows est un film en langue croate tourné entièrement en Croatie, mais c’est aussi un film américain d’un réalisateur américain. C’est un très sérieux documentaire sur le développement de l’extrême-droite en ex-Yougoslavie, mais c’est aussi une comédie potache sur des imbéciles de touristes qui ne respectent rien et vomissent partout. C’est un doc et une fiction à la fois, c’est un film en deux langues et avec deux narrateurs… par où commencer avec ce drôle de rébus ? Le tour de passe-passe le plus épatant du cinéaste Travis Wilkerson est sans doute d’être parvenu à rendre ce cocktail de contraires forts aussi fluide et limpide. Through the Graves est bien plus facile d’accès que son titre, son concept ou ses images en noir et blanc ne semblent l’annoncer.

Tout commence à la première personne : Wilkinson s’adresse directement à nous pour expliquer avec humour la genèse avortée d’un projet de film sur la Yougoslavie. « J’ai décidé de faire à la place le film que vous allez voir ». On a connu introduction plus solennelle mais le cinéaste américain est justement connu pour ses expériences narratives à cheval entre imagination et activisme politique. Endossant son propre rôle, Wilkinson part ici à la rencontre d’un faux détective spécialisé dans les disparitions grotesques d’étrangers. D’affaires que personne ne veut résoudre car « tout le monde hait les touristes ». Through the Graves se compose donc d’une succession de scènes où ce bras cassé raconte les cas les plus improbables et cocasses et cette partie fiction est régulièrement entrecoupée d’un retour à la forme documentaire. A travers ces séquences où la caméra cherche des traces du passé dans des bâtiments en ruine, Wilkinson lui-même narre ses recherches glaçantes sur ce que sont devenus les groupuscules nazi yougoslaves dans cette région du monde. Ce passé-là a-t-il réellement disparu?

Aucun rapport entre les deux visages du film ? Ce n’est pas si simple que ça, et Wilkinson fait justement de cette juxtaposition inattendue le moteur d’un film lui-même imprévisible où le rire n’empêche jamais le sérieux et vice-versa. Le meilleur exemple est sans doute la succession de deux séquences muettes : dans l’une, Wilkinson décide de prendre en photo toutes les croix gammées taguées sur les murs de la ville de Split, dans l’autre il compile des images glanées sur internet de touristes adolescents pathétiquement bourrés en public. Le résultat évoque doublement l’œuvre de Radu Jude, pour son utilisation de vertigineuses compilations d’images brutes et par son slalom intelligent entre bon et mauvais goût, entre gravité et caricature. Qu’on choisisse de le classer parmi les docs ou les fictions, Through the Graves the Wind Blows est un puzzle politique galvanisant sur la peur de l’Autre, à la forme et au propos particulièrement contemporains.

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par Gregory Coutaut

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