Berlinale | Critique : Dahomey 

Novembre 2021, vingt-six trésors royaux du Dahomey s’apprêtent à quitter Paris pour être rapatriés vers leur terre d’origine, devenue le Bénin. Avec plusieurs milliers d’autres, ces œuvres furent pillées lors de l’invasion des troupes coloniales françaises en 1892. Mais comment vivre le retour de ces ancêtres dans un pays qui a dû se construire et composer avec leur absence ? Tandis que l’âme des œuvres se libère, le débat fait rage parmi les étudiants de l’université d’Abomey Calavi.

Dahomey
France / Sénégal / Bénin, 2024
De Mati Diop

Durée : 1h07

Sortie : 25/09/2024

Note :

QUE MON RÈGNE ARRIVE

Cinq ans après le Grand Prix à Cannes obtenu pour le superbe Atlantique, la Franco-Sénégalaise Mati Diop revient au documentaire avec Dahomey. Le titre du film fait référence à un royaume qui n’existe plus, un monde englouti quelque part au Bénin. Englouti, mais également dispersé avec ses œuvres d’art qui ont été pillées lors de la colonisation française il y a plus de 100 ans. Certaines de ces œuvres sont sur le point d’être rendues au Bénin, et c’est ce que la réalisatrice filme dans son nouveau long métrage.

Le récit peut d’abord être très factuel : comment les ouvriers déplacent minutieusement des statues, comment celles-ci voyagent en avion, comment l’on constate leur état et décrit leur composition. Mais il y a très vite une incongruité, presque quelque chose de surnaturel à voir ces reliques anciennes en mouvement (on a un temps le sentiment que Mati Diop pourrait réaliser un remake de Wishmaster). Effectivement, les statues parlent dans Dahomey et, en tant que témoins d’un passé traumatique, elles ont quelque chose à dire et à transmettre. Leur texte a été écrit par l’auteur haïtien Makenzy Orcel, récent finaliste du Prix Goncourt pour Une somme humaine. Si c’est d’objets dont il est question, ceux-ci portent en eux une dimension spirituelle. Lors d’une parenthèse splendide, dans la nuit, Diop filme un drapeau qui flotte au vent, puis un rideau derrière une fenêtre ouverte, comme si des esprits revenus volaient sur la ville.

Dahomey dépeint un fait historique ; le retour de ces œuvres est d’ailleurs accueilli dans les rues avec des célébrations enthousiastes comme pour l’arrivée d’un chef d’état ou de sportifs couronnés. Ce sont des statues mais ce sont bien plus. Un fait historique, oui, mais aussi un fait politique. Le retour n’est pas une fin en soi, il ouvre une conversation passionnante que Mati Diop filme dans une université. Comment a-t-on jusqu’ici enseigné l’Histoire du vainqueur et du vaincu ? Comment grandit-on en ignorant son propre héritage culturel ? Comment efface t-on une culture ? Les œuvres d’art sont-elles l’âme d’un peuple ? Puis, plus loin : ces œuvre sont rendues certes, mais il ne s’agit que de 26 œuvres sur des milliers pillées. Qu’est-ce que cela dit de l’aumone accordée par la France ? Quel rapport encore vivant aujourd’hui entre colon et colonisé ? De quel paternalisme raciste le Bénin est-il victime ?

Présenté en compétition à la Berlinale, Dahomey ouvre ainsi de captivantes portes intellectuelles, mais aussi en termes d’imaginaires. La voix poétiques des statues parlent d’un chemin vers elles-mêmes. « Nous sommes des millions dans la nuit », ajoutent-elles. Dans cette lumière retrouvée, sur leur terre d’origine, hommes, femmes et dieux se retrouvent face à face. Revenues au Bénin, les œuvres sont comme auscultées par des spécialistes, puis admirées par les habitant.e.s. Et lorsque les statues parlent, c’est en fon, et pas en français. Comme dans Atlantique, Mati Diop mêle ambitieusement le politique et le poétique. Ses récits se projettent toujours plus loin que les faits apparents sous nos yeux. Et ainsi, dans Dahomey, ce n’est pas seulement le présent que le passé retrouve, mais aussi le futur.

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par Nicolas Bardot

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