Festival Cinélatino | Critique : Cidade; Campo

Après des inondations dévastatrices dans sa ville natale, Joana, une travailleuse rurale, déménage à São Paulo pour retrouver sa sœur Tania. Flavia, elle, s’installe avec sa femme Mara dans la ferme de son père récemment décédé. Elles luttent pour prendre un nouveau départ dans la nature.

Cidade; Campo
Brésil, 2024
De Juliana Rojas

Durée : 1h59

Sortie : –

Note :

PRENDRE RACINE

Deux villes apparaissent à l’écran lors du plan d’ouverture de Cidade; Campo. C’est un plan récurrent du jeune cinéma brésilien contemporain, qui rend compte de deux mondes en une image : les buildings au loin, les humbles maisons au premier plan. C’est un début qui peut rappeler le formidable Les Bonnes manières, précédent long métrage de Juliana Rojas (co-réalisé avec Marco Dutra). C’est aussi, tout simplement, un début de conte : une femme dont on ne sait rien sonne à une porte comme nous sonnerions à celle du film. « Je pensais que t’étais morte », lui dit-on avec un mélange d’étonnement et d’émotion. Un fantôme, revenu en ville.

Joana a été contrainte de fuir une région rurale inondée après la rupture d’un barrage. La voici dans la grande Sao Paulo, à faire des ménages dans des maisons vides, et l’on pourrait croire qu’elle a quitté une ville fantôme pour une autre. Avec finesse, Rojas déjoue les attentes. La ville carnassière peut aussi être un lieu de réconciliation, de chaleur humaine et des possibles. C’est la chaleur du chant partagé, comme dans Necropolis Symphony, Les Bonnes manières ou ici lors d’un karaoké. Les rêves en surimpression continuent à hanter Joana. Mais le film questionne avec subtilité la question d’appartenance et évite bon nombre de clichés.

En une césure figurée par un mystérieux rideau de brume, Cidade; Campo pose son point virgule et passe d’un récit à un autre. Trabalhar cansa et surtout Les Bonnes manières se distinguaient par leur généreuse variation de tons. Ici, c’est carrément à un virage que l’on assiste, un chemin parcouru dans un sens puis reparcouru en sens inverse. Il n’y a pas de symétrie parfaite, le film ne se replie pas en deux comme un papier. Mais cet envers est aussi une autre manière d’aborder l’appartenance et de dissiper les idées reçues. La campagne comme lieu du retour apaisé est avant tout un coin où tout le monde est armé, et qui est hanté par des esprits anciens.

On passe avec fluidité du récit social de Joana à la recherche d’un travail au récit fantastique de Flavia dans une campagne mystique. C’est un aparté mais il a son importance : a-t-on déjà vu dans des films de genre une héroïne comme Flavia, interprétée avec douceur et charisme par Mirela Façanha ? Voilà qui participe à la fraicheur du regard de Juliana Rojas sur un genre aux codes plus ou moins identifiés. Dans ce versant fantastique, une lumière étrange appelle dans les bois, des bruits se font entendre autour de la maison. C’est inquiétant, c’est aussi séduisant et ludique. Lorsque les héroïnes se retrouvent à boire leur potion autour d’un feu, on a le sentiment de voir autant un rassemblement de sorcières que des vacancières ivres autour d’un feu de camp.

Qu’est-ce qui réunit Joana et Flavia ? Les deux femmes paraissent observées par un même étrange faisceau venu du ciel, comme un œil rouge qui scrute leurs singuliers destins. Mais le film n’est pas tant à propos de leur lien qu’une variation poétique sur l’identité et à quel point celle-ci est perméable aux lieux et aux origines. On en fait le deuil, on l’affronte, on l’oublie, on trouve une autre famille, on arpente les rues et on bêche le sol. Rien de didactique néanmoins dans ce film élégant qui chérit le mystère avec poésie. Libre et sensible, Cidade; Campo compose avec talent deux portraits minimalistes et attachants, sous un vertigineux cosmos rempli d’étoiles.

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par Nicolas Bardot

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