Berlinale | Critique : The Adamant Girl

Deux familles indiennes planifient le mariage de leur fille Meena et de leur fils Pandi. Le problème, c’est que Meena est amoureuse de quelqu’un d’autre, qui plus est d’une caste inférieure.

The Adamant Girl
Inde, 2024
De Vinothraj PS

Durée : 1h40

Sortie : –

Note :

PRISON EN PLEIN AIR

Le cinéaste indien P.S. Vinotraj s’était fait très remarquer il y’a trois ans en remportant le prestigieux Tiger Award du Festival de Rotterdam avec son tout premier long métrage, l’impressionnant Pebbles. Ce dernier racontait l’errance nerveuse d’un macho à la recherche de son épouse ayant pris la fuite, et on ne peut pas dire que ce second long métrage dépeigne une situation plus tranquille pour les femmes. La jeune héroïne qui donne son titre à The Adamant Girl (qu’on peut traduire par « la fille inflexible ») a en effet décidé de ne plus dire un mot pour protester contre le mariage forcé qui l’attend. Cela tombe presque bien puisque de toute façon personne dans son entourage ne songerait à lui demander son avis sur la question, mais ce silence borné fait néanmoins tellement paniquer ses proches qu’ils décident en toute logique de prendre la route ensemble pour l’emmener se faire… exorciser.

D’un réalisme brut et sans concession, The Adamant Girl n’est pas à proprement parler un film d’exorcisme, et ce n’est sans doute pas non plus un road movie, même si on peut retrouver entre les lignes un peu de la terreur outrée de l’un et un peu de la dimension picaresque de l’autre. Ce drame électrisé par une nervosité permanente s’ouvre sur un plan séquence filmé au petit jour : le village dort encore et seule une femme se tient debout, silhouette entièrement noire qui se découpe comme une ombre fière (on dirait presque des effets spéciaux !) sur ce décor désert. Or la fin de la séquence nous dévoile cruellement qu’il ne s’agissait pas là de l’héroïne, cette dernière étant attachée au pied du lit et bientôt posée comme un objet encombrant sur la banquette arrière. The Adamant Girl suit le trajet contrarié de cette famille de fous en route vers le guérisseur. Le désert bouillant de Pebbles a laissé place ici à une campagne verdoyante, mais les paysages traversés n’en restent pas moins une prison pour la future mariée.

C’est également une prison pour tous les autres personnages du film, tous sûrs de leur bon droit à décider à la place des autres au nom de la tradition, tous enfermés dans leurs certitudes, leur foi aveugle, et leur misogynie. Ils sont prompts à interpréter comme un signe divin chaque micro événement qui jalonne leur chemin alors même qu’ils n’ont qu’insultes et menaces à la bouche, et que leur convoi menace de virer à la bastonnade à tout instant. Cette folie collective apporte au film une authentique tension, mais aussi un flirt avec une certaine absurdité, avec le grotesque au sens noble du terme. Le temps d’un simple raccord lors d’une scène de bagarre filmée d’abord de près puis de loin, P.S. Vinotraj parvient d’ailleurs à passer d’un ton à l’autre, à montrer que la violence du patriarcat peut être éprouvante et ridicule à la foi sans que l’un n’empêche l’autre.

Tout réaliste qu’il soit, The Adamant Girl fait en effet preuve d’audacieuses idées cinématographiques. Le film a en effet sa propre manière de nous regarder droit dans les yeux, que ce soit à travers un très gros plan inattendu sur une orbite ou sur des basculements réguliers en caméra subjective. Porté par un mauvais esprit autant qu’une saine colère, le résultat est particulièrement étonnant, branché sur un courant à l’intensité imprévisible.

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par Gregory Coutaut

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