Festival CPH:DOX | Entretien avec Peaches

Musicienne, performeuse, icône queer et punk mais aussi ex-enseignante, la fascinante Peaches était à l’honneur lors de la récente édition de la Berlinale. Elle y accompagnait le documentaire Teaches of Peaches, qui a remporté le Teddy Award du meilleur doc. Ce film est désormais au programme du Festival CPH:DOX. Peaches est notre invitée et évoque pour nous le bilan de ses vingt premières années de carrière ainsi que ses goûts cinématographiques.


Teaches of Peaches revisite votre carrière en combinant des images d’archives publiques tels des clips ou des extraits de concerts, mais inclut également des images intimes plus inattendues. Compiler ces différentes images a-t-il été un processus nostalgique ou au contraire une manière de faire un bilan ?

L’idée de faire ce film ne vient pas de moi à la base, et le projet initial ne devait même pas spécialement inclure d’images d’archives. Or il se trouve que cela fait de nombreuses années que je compile mes propres archives et ma mémoire fait que je me rappelle très précisément de tout ce que j’ai filmé moi-même ou de tous les moments où j’ai demandé à d’autres de me filmer. Ces archives-là sont toujours présentes à mon esprit. il faut dire qu’avoir ces images avec moi me permettait d’être encore plus à l’aise avec tout ce que j’ai fait durant toutes ces années. Ces images sont devenues plus qu’un témoignage de mon travail, ce sont devenu des amies car j’étais souvent seule dans mon processus créatif.



Lorsque vous performez en tant que Peaches, vous maîtrisez totalement votre image. Dévoiler votre côté plus naturel, quotidien, quasi-familial, cela faisait partie de vos intentions en faisant ce film ?

Pour moi c’était très important qu’il y ait des moments ennuyeux (rires). Quand j’ai accepté de faire ce documentaire, j’ai donné comme condition d’à tout prix inclure des images de moi du temps où j’enseignais à des enfants. À l’époque où je commençais à travailler sur ma musique, je faisais ça le soir, la nuit. Dans la journée mon métier c’était d’enseigner. J’ai bien conscience que pour beaucoup de spectateurs il s’agira des images les plus choquantes du film. Personne ne va croire que ces deux facettes ne forment qu’une seule et même personne et pourtant c’est la vérité. C’est entièrement la même personne, et tant mieux si certain.e.s y voient la continuité.



En revoyant avec recul les images de vos débuts, avez-vous l’impression que ce que vous faisiez de provoquant à l’époque serait toujours aussi choquant aujourd’hui ?

C’est fou comme tout dans la vie fonctionne par vagues, non ? Lorsque mon album Rub est sorti en 2015, tous les premiers entretiens que je donnais à la presse mentionnaient le fait qu’Obama était devenu président et que tout allait mieux, d’une certaine manière. Mais dès 2016 et l’élection de Trump, les questions qu’on me posait soudain me donnaient l’impression d’être redevenue plus pertinente que jamais (rires). Je vois les choses de façon cyclique plutôt que linéaires.



Les images de vos concerts récents ressemblent à des fêtes, on vous y voit sourire presque en continu. Pensez-vous que vos performances live sont devenues plus joyeuses qu’à vos débuts?

Oui et c’était un processus conscient. Je me souviens que mes premiers concerts avaient quelque chose de l’ordre du combat. Certains ou certaines dans le public pouvaient bien sûr y vivre un moment de révélation et réaliser que ma musique leur parlait, mais aujourd’hui c’est comme si le public et moi on était toutes et tous collectivement passé.e.s de l’autre côté. Certes il y aura d’autres combats et d’autres montagnes à escalader mais mes concerts sont effectivement des moments de célébration collective. Une célébration radicale.

Mon public et moi formons une communauté, c’est comme ça que je le vois. Nous nous rassemblons pour créer un happening, une performance. C’est en direct, c’est maintenant. Il y a un sentiment d’immédiateté et c’est pour cela que je me retrouve souvent à vouloir marcher sur le public. C’est tout simplement impossible de rester derrière son téléphone à filmer le concert et de me porter quand je fais ça. Je finis parfois par dire directement aux gens : « Coucou, si tu me lâches, le concert s’arrête, alors tu devrais peut-être penser à ranger ton téléphone quelques secondes ». Ces concerts, c’est quelque chose qu’on crée ensemble.



Dans le cadre de la Berlinale, vous allez également donner une conférence publique avec Charlie Le Mindu intitulée Langages corporels : Peaches, ses poils et ses costumes. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Je voulais parler avec Charlie du fait qu’à mes yeux, porter un costume sur scène ce n’est pas juste enfiler un vêtement lambda. Il doit y avoir une dimension performative derrière, quelque chose qui relie ces costumes à mes idées, à tout ce qui m’intéresse. Or ce qui m’intéresse c’est évidemment l’idée que le corps est politique, et c’est là que les poils deviennent intéressants. L’idée, c’est que les poils peuvent aussi bien être utilisés comme un outil pour atteindre la beauté ou l’horreur, pour provoquer le malaise, pour évoquer quelque chose d’anti-sexy ou au contraire de sexuel. J’essaie de faire en sorte que mes costumes ouvrent les horizons à ce sujet. Exagérer la réalité jusqu’à l’absurde, comme le font mes costumes de scène, permet souvent de réaliser que la réalité est déjà plus absurde que tout.



Le documentaire montre qu’il est souvent accepté que les femmes artistes montrent leur corps du moment que c’est fait de façon sexy, mais que si c’est fait avec humour, plus personne ne sait comme réagir. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne sais pas si c’est encore exactement le cas aujourd’hui, comparé à il y’a vingt ans. Je crois que les choses évoluent petit à petit. Je trouve par exemple que Lizzo a mis en scène son corps de façon très intéressante. J’ai l’impression que les esprits sont devenus un peu plus ouvert à l’idée d’une nudité humoristique. Les costumes et la nudité sont devenus des outils de plus en plus importants pour permettre aux gens d’exprimer leur genre, leur fluidité, leur identité sexuelle.

On en revient à l’idée du poil et à quel point il incarne le fait que le genre est également quelque chose de politique. Jusqu’à il y a encore quelques années, dans l’esprit des gens un homme pouvait avoir une moustache mais si une femme avait un petit duvet au dessus de la lèvre… aïe. Aujourd’hui les choses sont devenues moins binaires et davantage de personnes sont ouvertes à l’idée de trouver sexy quelqu’un d’apparence très féminine mais avec une moustache, par exemple. Davantage de choses naturelles commencent à être considérées comme sexy, il y’a de plus en plus de place pour élargir la définition de ce qui est sexy.

Je me souviens qu’il y a longtemps, Julia Roberts avait été prise en photo au Canada en train de saluer le public et elle avait du poil sous les bras, cela avait fait la Une des magazines. En concert, il arrive que des spectateurs pointent du doigt ma culotte parce que j’ai les poils pubiens qui dépassent, mais on a tous des poils pubiens, c’est absurde.



Je voudrais profiter du fait que nous soyons à la Berlinale pour vous parler de cinéma. Quelle spectatrice êtes-vous ?

Ce que je préfère avant tout ce sont les films centrés autour de leurs personnages, moins je vois la grosse machinerie derrière, mieux c’est. Je ne suis pas particulièrement fascinée par tout ce qui ressemble à de l’action et j’aime les effets spéciaux à condition qu’ils servent réellement l’intrigue, autant dire rarement. Je m’ennuie facilement devant les films à effets spéciaux parce que toute la dimension technique du cinéma m’indiffère. Pour moi, ce sont les personnages qui importent avant tout. Mes amis vous confirmeraient à quel point je suis obsédée par le film Tar par exemple. J’ai trouvé que The Whale était aussi un film incroyable et pas seulement grâce à la performance de Brendan Fraser. J’étais très surprise que le fait que le personnage soit queer ne soit mentionné dans aucune bande annonce, je ne savais même pas que le film allait parler de ça avant de le voir.

J’aime aussi beaucoup les bonnes comédies musicales, mais ça ne court plus les rues hélas. Le dernier exemple d’excellente comédie musicale à mes yeux est la dernière saison de Transparent. Parvenir à parler du mouvement #MeToo en musique comme ils l’ont fait, quelle réussite phénoménale.



Effectuer ce bilan de vingt ans de carrière vous aide-t-il à envisager l’avenir? Cela vous a-t-il ouvert des portes vers d’autre directions ?

C’est intéressant parce que je suis justement sur le point d’entamer un tout niveau processus créatif, donc on va voir. J’ai moi-même hâte de découvrir. Mais je ne vous ai même pas demandé : est-ce que vous connaissez ma musique ?

Bien sûr. La dernière fois que je vous ai vue j’étais au premier rang d’un de vos concerts et vous m’avez craché du faux champagne à la figure, j’en garde un très bon souvenir.

Du moment que c’était avant le Covid, ça va (rires).



Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 19 février 2024. Merci à Mirjam Wiekenkamp et Kai Hermann. Crédit images Avanti Media Fiction.

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