Berlinale | Critique : Pepe

Un jeune hippopotame qui a été tué revient sous la forme d’un fantôme.

Pepe
République Dominicaine, 2024
De Nelson Carlos De Los Santos Arias

Durée : 2h02

Sortie : –

Note :

HIPPO GLOUTON

En quelques secondes, Pepe montre des images de guerre, un dessin animé pour enfants mettant en scène un hippopotame et nous parle de Pablo Escobar. Qu’est-ce qui va bien pouvoir sortir à tout instant de la hotte magique du Dominicain Nelson Carlo de los Santos Arias ? C’est là la force la plus évidente de son long métrage, dévoilé en compétition à la Berlinale : Pepe peut aller (et nager) où il veut – tout comme sa caméra, qui filme sous l’eau jusque dans le ciel. Une voix retentit et c’est celle d’un hippopotame. « Je peux expliquer très peu de choses » prévient-il. C’est l’esprit d’un hippopotame mort qui se confie : en passant d’un récit à l’autre, traverse t-on les mondes et expérimente t-on la résurrection ?

Pepe est en partie un documentaire animalier, il nous parle d’hippopotames. D’une capture en Namibie jusqu’à un voyage improbable jusqu’en Colombie, puis une fuite en République Dominicaine. C’est cette histoire reflétée et dispersée en mille fragments, comme un esprit vagabonderait dans l’air ou dans un fleuve. Lors d’un moment à couper le souffle, la caméra suit des protagonistes dans une partie du film perçue comme une fiction, puis en un mouvement continu s’échappe sur l’eau, s’en va ailleurs, ne tenant pas tant que ça à suivre un récit établi. C’est évidemment déroutant mais c’est aussi ce qui participe à rendre Pepe poétiquement inclassable.

Certes il y a des clefs : les animaux dit-on ont d’ailleurs beaucoup à nous enseigner, notamment sur le Mal. Mais Pepe parle davantage de doutes que de leçons. C’est là une créature merveilleuse, et qu’on devrait craindre. C’est une bête ronde qui semble pataude, qui de loin ressemble à un simple rocher, mais qui devient dans le film une sorte de divinité. La voix profonde de Pepe berce, mais ses rires sont grotesques. Qu’est-ce qui, en pointillés, se dessine peu à peu ? Une forme de portrait sociétal, où l’on se méfie de l’hippopotame comme d’un étranger, qui devient une ridicule affaire d’état pour hommes armés imaginant un danger autour d’eux ? Très bien, mais est-ce qu’on ne s’arrêterait pas plutôt sur le concours de Miss du patelin d’à côté ?

Si cette forme discontinue et ce mystère parfois opaque peuvent installer une distance, Pepe sidère par sa beauté. La lumière déclinante sur le désert, un stupéfiant plan nocturne et ses reflets de lune, toutes ses images à la tombée du jour dans un entre-deux surnaturel : Pepe semble alors planer bien au-dessus des lectures et analyses pour laisser une place centrale et chérie au beau et à l’imaginaire. L’authentique, le faux, le sérieux et la fantaisie s’y mêlent en un désordre poétique qui ne ressemble à aucun autre.

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par Nicolas Bardot

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