Berlinale | Critique : Ivo

Ivo est infirmière en soins palliatifs. Elle s’est liée d’amitié avec sa patiente Solveigh, mais elle couche en cachette avec le mari de cette dernière. Lorsque Solveigh décide de mettre fin à ses jours, elle demande de l’aide à Ivo.

Ivo
Allemagne, 2024
De Eva Trobisch

Durée : 1h44

Sortie : –

Note :

CIRCULEZ

Comme si de rien était, tel était le titre français du formidable premier film d’Eva Trobisch, et son titre original Alles ist gut envoyait déjà le même message clair : tout va bien, circulez y’a rien à voir. Circuler, l’héroïne de son second long métrage ne fait justement que ça. Infirmière à domicile spécialisée en soins palliatifs, Ivo passe beaucoup de temps à se déplacer en voiture, comme l’héroïne de N’attendez pas trop de la fin du monde. Elle avale les kilomètres sans broncher, prise dans une routine et un rythme de travail peu propices au grandes plages de méditation. La profession d’Ivo soulève forcément d’importantes questions éthiques, mais Ivo n’a pas vraiment l’occasion de s’en soucier. D’une part parce qu’elle est encadrée par un service hospitalier doté d’un avocat spécialisé, d’autre part parce que… eh bien parce que tout va bien. Ou plutôt, tout a l’air d’aller aussi bien Ivo que pour l’héroïne de Comme si de rien n’était qui refusait d’appeler un viol un viol. Circulez, mieux vaut ne pas voir ce qui se cache derrière le quotidien bien rangé d’Ivo.

Si son premier film était porté par une tension remarquable, Eva Trobisch choisit cette fois une vitesse différente pour chroniquer le naufrage interne de son héroïne : celui de l’endurance. Ivo suit sa protagoniste éponyme dans ses tâches répétitives qui ont l’air filmées avec froideur mais ce scénario faussement sage possède d’emblée un curieux petit cailloux incisif dans la chaussure. Est-ce la manière dont Ivo est obligée, par la force de l’habitude, de faire preuve de distance face à la douleur des autres ? Est-ce cette façon de mettre sur un même plan tragédies du quotidien (le personnel d’une clinique récite la liste des morts du jour) et petits plaisirs en cachette (Ivo gobe des nuggets entre deux décès). Au volant de son film/véhicule, Eva Trobisch ne désire pas s’arrêter sur l’aire confortable du portrait psychologique et il n’y a aucun dialogue artificiellement explicatif à signaler sur ce parcours. Telle Ivo, elle a un but qui vaut le coup d’être atteint, et le trajet ne ressemble pas forcément la promenade attendue.

Le cœur du récit se dévoile sans trop tarder : parmi les patientes récurrentes d’Ivo se trouve une femme de son âge, condamnée par un handicap lourd. Cette dernière n’est pas le genre de malade à se plaindre ou s’épancher, et Ivo n’est pas docteur Quinn non plus. Leur cohabitation régulière se déroule donc de façon factuelle et banale si ce n’est qu’Ivo couche en cachette avec le mari de la future morte. Ivo est-elle un monstre de cynisme ou bien est-ce que… c’est la vie, tout simplement ?

Eva Trobisch n’a pas peur du malaise mais n’a pas besoin d’appuyer trop fort sur cette pédale-là. Elle nous montre cette situation dingue avec la même distance que le reste, nous laissant seuls juges du personnage. Ivo a l’air du genre de film glacé où il n’y a pas de place pour les sentiments, il en est pourtant beaucoup question entre les lignes. Ivo traverse la vie avec comme unique compagnie les tubes sentimentaux diffusés par l’autoradio. Ce portrait en creux d’une personne déconnectée de ses émotions possède un rythme qui demande de l’attention mais témoigne d’une écriture décidément puissante.

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par Gregory Coutaut

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