Berlinale | Critique : Republic

Dans une petite pièce de six mètres carrés, Li Eryang tente de mettre en pratique son communisme et créer une république pour ses « Cosmos Brothers ».

Oasis
Singapour/Chine, 2023
De Jin Jiang

Durée : 1h47

Sortie : –

Note :

IT’S A SMALL WORLD, AFTER ALL

Au bout d’une ruelle, un minuscule appartement de 6m². Mais cet appartement, si petit soit-il, est la république créée par Li Eryang, quelque part à Pékin. Le ciel étoilé est recréé au plafond, tandis qu’une carte du monde s’étend au sol. La Chine est le monde, le monde est cet appartement pour le jeune homme. Republic raconte un double fantasme : celui, adolescent, de pouvoir se retirer dans sa chambre et vivre hors du monde, et celui, ambitieux, de la création d’un micro-état qui obéirait à ses propres idéaux. C’est, pour nous spectateurs, un lieu ambivalent : à la fois étouffant et joyeusement coloré, angoissant le jour mais chaleureux la nuit. Et c’est là que le Chinois Jin Jiang a planté sa caméra.

Si l’on enlève les traces de technologie (ordinateurs, téléphones), Republic pourrait se dérouler dans les années 70 : ses protagonistes sont des hippies qui font du rock, fument des clopes, se défoncent et ont un esprit libertaire. La porte d’Eryang est toujours ouverte, son énergie est l’harmonie, les maîtres-mots sont paix, amour et lumière. C’est un espace de discussion : on y parle de ce que le rock permet, des anciens films de Kim Ki-duk. L’atmosphère y est sacrée, et on peut même s’y marier puisque cette république est bien réelle : le film en huis-clos laisse à penser que la Chine, dehors, est un monde étranger.

Il y a, inévitablement, une porosité entre la république de Li Eryang et la république populaire de Chine. Quel bonheur à l’heure du capitalisme ? Comment être heureux au travail ? Être là, est-ce que ça n’est pas une vaine tentative d’échapper au système ? A un certain point, Republic est à deux doigts de tomber dans le piège figé de son dispositif, avec sa répétition, sa monotonie, sans que l’accumulation de scènes ne produise quelque chose de plus grand. Mais Jin Jiang, avec un mélange d’acharnement et de patience, parvient à dépeindre les nuances qui finalement se dessinent chez son protagoniste. C’est d’abord un jeune homme idéaliste, qui comme bien des jeunes hommes, n’a pas une pensée encore extrêmement structurée politiquement – la première partie du film mêle espoirs en la Chine, en Mao, en Xi Jinping, mais aussi en l’absence de règles, en une liberté totale.

Li Eryang grandit, ses désillusions aussi. Republic rend compte d’une utopie lumineuse et de ses couleurs qui palissent. Des idéaux intenables, de la culpabilité, des échecs. Les rêves sont romantiques mais le film trouve un autre relief lorsqu’il refuse la romantisation. Le monde, ou la république, ne sont pas si binaires, et le film dessine des chemins pour s’en sortir, par exemple par l’art. Jin Jiang dépeint un lieu la fois très physique, où l’on ressent le manque d’espace et l’accumulation d’objets. Mais c’est aussi – surtout ? – un espace immatériel, que Li Eryang garde en lui et que chacun.e, comme il le suggère, peut porter en soi.

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par Nicolas Bardot

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