Berlinale | Critique : Who Do I Belong To

Les rêves d’Aïcha sont prophétiques. Elle vit dans une ferme dans le nord de la Tunisie avec son mari Brahim et leurs trois fils. Le monde d’Aïcha et Brahim est bouleversé lorsque leurs deux aînés, Mehdi et Amine, partent à la guerre. Après avoir vécu jusque-là uniquement pour leurs enfants, les parents se retrouvent maintenant dans une réalité nouvelle et douloureuse.

Who Do I Belong To
Tunisie, 2024
De Meryam Joobeur

Durée : 1h57

Sortie : –

Note :

FLAMME FANTÔME

Who Do I Belong To s’ouvre par une vision à la fois poétique et morbide, où un grand drap coincé dans des branches d’arbres semble préfigurer une pendaison. Un autre plan montre un cheval sans cavalier, une vision hantée dans un film qui en contient d’autres. Les images mentales tentent de mettre un doigt sur ce qui, dans la réalité, reste indicible. Une damnation est tombée sur cette famille dont les deux fils ainés sont partis s’engager auprès d’ISIS. Qu’est-ce qui constitue ou meurtrit une famille ? La mère dit qu’elle accueillera quand même, s’ils reviennent, ses enfants comme ses fils. Le plus petit resté à la maison affirme que cela ne changera rien à son amour. Mais les images que l’on voit son bel et bien celles d’un paradis perdu.

Who Do I Belong To est le premier long métrage de la réalisatrice d’origine tunisienne Meryam Joobeur. Celle-ci a une double culture, a grandi en Tunisie jusqu’à 6 ans avant de vivre aux Etats-Unis et d’être établie aujourd’hui au Canada. Elle fait pourtant partie d’un même courant passionnant de l’actuel cinéma tunisien, où des récits politiques ou portraits de société sont composés en faisant appel au cinéma de genre. Dans Black Medusa (2021), c’était les codes du film noir et du film de vampire. Dans Ashkal, l’enquête de Tunis, c’était le film fantomatique qui semblait faire des clins d’oeil à Kiyoshi Kurosawa. Le drame familial, dans Who Do I Belong To, prend lui la forme d’un conte fantastique.

Le format de l’image cadre les personnages et offre un effet d’immersion. Autour d’elles et eux se déploie un séduisant monde riche en couleurs : la réalité qui nous est dépeinte ne peut pas être en noir et blanc. Qu’est-ce qui reste dans le sable, que cachent le silence et la sidération ? Le remarquable travail photographique invite dans le regard une sensibilité particulière, dans cet espace trouble entre réalisme et magie. La caméra sensorielle s’approche d’un mystère humain qui demeure difficilement saisissable. Le traumatisme partagé dans Who Do I Belong To empêche d’avoir une vision définie et simplifiée des choses. Au tout début du film, la mère est filmée nette tandis que le décor reste flou derrière elle. En fin de film, c’est elle qui est floue tandis que le décor à perte de vue est net.

Le long métrage, visuellement très généreux et dévoilé en compétition à la Berlinale, se situe sur cette émouvante bascule poétique. Les protagonistes fragiles ont tôt fait d’être gagnés par la tragédie. Meryam Joobeur les filme de très près ou de très loin, saisissant leur vérité en même temps que le non-dit.

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par Nicolas Bardot

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