Berlinale | Critique : La Cocina

A l’heure du déjeuner, l’effervescence de la vie dans la cuisine d’un restaurant de New York.

La Cocina
Mexique / États-Unis, 2024
De Alonso Ruizpalacios

Durée : 2h19

Sortie : –

Note :

CAUCHEMAR EN CUISINE

Dans une scène de La Cocina, des homards sont plongés dans le bel aquarium d’un restaurant à Manhattan. De la même manière, pendant 140 minutes particulièrement intenses, nous serons en immersion totale dans la cuisine de ce restaurant. L’éclectique Alonso Ruizpalacios, qui s’est distingué notamment avec le film d’aventures et jeu de pistes Museo ou le mélange de doc et fiction policière A Cop Movie, change à nouveau de registre avec cette comédie dramatique en noir et blanc. On y voit beaucoup de nourriture, mais on n’est visiblement pas dans le chic des Menus plaisirs de Wiseman ou dans la carte postale de Dodin Bouffant.

La cuisine de ce restaurant new-yorkais, sous l’œil de Ruizpalacios, a des airs de sous-marin, de fourmilière et de champ de bataille. Tout cela à la fois car la cuisine n’est jamais simplement qu’une cuisine : c’est une Tour de Babel, un monde miniature, où les cuisinières et cuisiniers sont souvent nommé.e.s par leur pays d’origine et où l’on enfile les insultes dans toutes les langues. C’est un film politique sur celles et ceux, immigré.e.s, qui font vivre la ville. C’est un film sur leurs rêves : un visa, de l’argent, une maison, l’amour. Mais ce théâtre extraordinaire ne se limite pas à une lecture. Un film sur l’immigration oui, mais aussi un film sur l’Amérique – sur son fantasme, sur ce pays qui, dit-on, « n’existe pas ». C’est aussi, de manière évidente, un film sur le monde du travail.

La pression sur les travailleuses et travailleurs est insensée dans les coulisses. « Un peu d’humanité ne vous ferait pas de mal », se rebelle l’une des héroïnes, tandis que le boss paternaliste est persuadé d’offrir monts et merveilles et son équipe ingrate. On s’engueule derrière les fourneaux tandis que les serveuses cachent leur mine blasée en composant un ballet millimétré. Alonso Ruizpalacios et son directeur de la photographie Juan Pablo Ramirez (qui avait signé notamment l’image de I Carry You With Me) signent notamment un plan séquence d’anthologie, totalement étourdissant, saisissant au mieux l’électricité ininterrompue qui parcourt les lieux, des tumultueuses cuisines à la salle de restaurant feutrée. Cette mise en scène n’est pas qu’une manière de montrer ses biceps : c’est l’histoire, et ses dynamiques.

Le film brille également par ses ruptures de tons. Le plan séquence qu’on vient d’évoquer comporte d’ailleurs un gag physique irrésistible et l’humour a sa place dans ce quotidien étouffant. Au début du long métrage, des images traduisant l’énergie frénétique new-yorkaise sont accompagnées du discours d’un marginal qui offre, en quelque sorte, la romantisation de New York qui nous est familière. Ce blablas est accueilli avec circonspection par l’une des héroïnes qui ne comprend pas un mot d’anglais. Le tourbillon est d’autant plus fort qu’il ne reste jamais sur la même note, et qu’il est incarné par un casting brillant. L’ampleur, la densité et la richesse de La Cocina en font une expérience particulièrement grisante.

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par Nicolas Bardot

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