Festival Visions du Réel | Critique : Favoriten

La réalisatrice Ruth Beckermann suit durant trois années les élèves une classe d’école primaire dont l’allemand n’est pas la langue maternelle. 

Favoriten
Autriche, 2024
De Ruth Beckermann

Durée : 1h58

Sortie : –

Note :

COURS TOUJOURS

Des dessins colorés, avec de grands yeux et des sourires : voici ce qu’on peut voir au générique de début de Favoriten, le nouveau long métrage de la documentariste autrichienne Ruth Beckermann. Favoriten désigne le quartier le plus multiculturel de Vienne, où se situe l’école qui sert de décor au film de Beckermann. Le « documentaire sur l’école » constitue un genre en soi qu’on peut voir très régulièrement passer en festivals et en salles. A vrai dire, on n’imaginait pas immédiatement la réalisatrice plutôt radicale du récent Mutzenbacher faire ce genre de film dont la recette peut être répétitive voire un peu mielleuse. A travers une forme effectivement très accessible, Ruth Beckermann parvient néanmoins à explorer finement tous les reliefs de son sujet.

Favoriten se situe dans une classe d’école primaire où l’on suit les mêmes enfants année après année. Aucun d’entre elles et eux n’a l’allemand comme langue maternelle. Certain.e.s viennent de Turquie ou de Macédoine, de Serbie ou de Syrie. Des favoris ? Ce sont au contraire des enfants issus de familles modestes, dont les parents immigrés sont ouvriers, infirmières, cuisiniers. Des personnes perçues comme à la marge, mais qui sont pourtant au cœur de la ville et de son fonctionnement. Voilà déjà ce que le film dessine politiquement : des enfants défavorisés sont rassemblés dans une école sans moyens suffisants, tandis que les enfants blancs iront dans de « meilleurs » établissements ou des écoles privées. C’est une histoire qui se déroule dans un arrondissement de Vienne, cela pourrait se dérouler en région parisienne.

Vu de l’extérieur, c’est une classe comme une autre, où l’on joue à la Barbie ou au babyfoot lors de la récréation. Les enfants qui éprouvent des difficultés avec l’allemand ou l’enseigment d’autres matières en allemand trouvent une écoute plus sensible chez leur enseignante dédiée – elle-même une jeune femme originaire de Turquie. Celle-ci est un moteur extraordinaire, et joue un rôle positif et nécessaire, à la fois dans l’éducation des enfants mais aussi dans l’estime que les élèves ont d’elles et d’eux-mêmes. « Ilkay est un exemple de ce à quoi cette vie de tous les jours devrait ressembler » commente la réalisatrice, admirative. Ilkay enseigne le calcul et les maths, mais elle évoque aussi les différences culturelles, ouvre la conversation lorsque des différends religieux sont abordés. Certes l’école est un socle essentiel, oui cette professeure est une héroïne parmi d’autres – mais le film ne se limite pas à ces vérités rassurantes.

Car peu à peu, contrairement à d’autres docs d’école plus sages et attendus, Favoriten laisse une place aux petits échecs. C’est fait sans cruauté, mais le long métrage ne se montre jamais naïf. L’éducation, a fortiori dans ce contexte, n’est pas un tour de magie, le documentaire n’est pas là pour nous faire vivre un émerveillement. Le film parle d’enfants qui n’entendent peut-être parler allemand qu’à l’école, et dont les haies à franchir sont plus hautes que pour d’autres – notamment si on ne leur donne pas les moyens. Favoriten raconte dans sa dernière partie à quel point cet équilibre, dans une ville pourtant riche, peut être extrêmement fragile. Voilà qui est pourtant central : « C’est une communauté » entend-on, « ça concerne tout le monde ».

Ca ne concerne visiblement pas tout le monde lorsqu’on constate comment cette enseignante porte ce projet à bout de bras. Les gros plans répétés de Beckermann saisissent les sentiments des enfants ; parfois des caméras qui leur sont prêtées changent le point de vue, offrent une autre perspective. Cette vie ne s’arrête effectivement pas à l’école et ses murs. Ruth Beckermann, dans ce long métrage présenté à la Berlinale en ouverture de la compétition Encounters, filme avec attention et intelligence un travail qui n’est jamais fini : celui de l’éducation bien sûr, mais aussi celui du vivre ensemble, et la manière dont on choisit de constituer une société.

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par Nicolas Bardot

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