Berlinale 2023 : notre bilan

Clap de fin sur cette 73e édition de la Berlinale ! Quels ont été les temps forts et les tendances de cette année ? Voici notre bilan complet et notre couverture composée pour l’instant de plus de 70 articles.


Après une édition en ligne en 2021 et une édition en format réduit en 2022, cette 73e édition fut une retrouvaille attendue avec les dimensions habituelles de la Berlinale : ambitieuses et généreuses. Si l’absence toute relative de grands noms et de cinéastes stars avait pu susciter l’étonnement lors de l’annonce de la sélection, elle n’a pas du tout traduit une baisse de qualité de la part de Carlo Chatrian et son équipe de sélection. Cette belle édition a au contraire confirmé la confiance que ce dernier place avec raison dans le renouvellement et la jeunesse. A l’image du choix brillant de Kristen Stewart, la plus jeune personne à présider le jury de toute l’Histoire du Festival, on est ravi de voir des noms contemporains excitants (Jian, Trengove, Shinkai, Avilés…) venir prendre la place centrale qu’ils méritent, et tant pis pour les vaches sacrées.


Music

La difficulté masculine à assumer et exprimer ses sentiments, les conventions des rôles sociaux et familiaux devenus une énigme dans un monde déconfiné, le besoin collectif d’un mode d’emploi pour reprendre la vie quotidienne… les thèmes transversaux de cette édition étaient plus contemporains que jamais. Au début du festival, Kristen Stewart a fait publiquement part de son désir spontané de répondre à ces problématiques en célébrant avant tout les gestes cinématographiques les plus novateurs, tout en demeurant ouverte à l’émotion procurée par des œuvres plus simples. Une vision qu’elle a d’ailleurs résumée dans son discours de clôture avec la formule « à force d’analyser ce qu’une œuvre est, on risque d’oublier ce qu’une œuvre nous fait », et qui explique peut-être la curieuse ambivalence de ce palmarès.


Orlando, ma biographie politique

Le jury a alterné choix puissant, tels la photo envoutante d’Hélène Louvart sur Disco Boy et le scénario sans dialogue et tout en ellipses d’Angela Schanelec pour Music, et d’autres plus conventionnels, comme la mise en scène sans surprise de Philippe Garrel sur Le Grand chariot. Indépendamment de la qualité de leurs films (on a adoré le Petzold et le Canijo), il reste que les hautes marches du palmarès ont été attribuées à des mecs blancs aux cheveux blancs. Seuls les prix d’interprétation sont venus faire baisser la moyenne d’âge : Sofia Otero, 9 ans (jouant le rôle d’une enfant trans dans le superbe 20.000 especies de abejas) et – également dans un rôle trans – l’actrice trans autrichienne Thea Ehre, 23 ans (Till the End of the Night). Soulignée par les différents prix remis à Orlando, ma biographie politique, l’excellent documentaire de Paul B. Preciado, cette visibilité des artistes et des récits trans est venue apporter un grand vent de modernité au palmarès.


Jill, Uncredited

En parlant de documentaires, l’Ours d’or Sur l’Adamant est un film sympathique, chaleureux et politique, mais il ne s’agissait peut-être pas de la proposition cinématographique la plus contemporaine de l’édtion. Le film vient néanmoins confirmer que les documentaires ont bel et bien toute leur place dans un festival de cinéma d’auteur, quelques semaines après le sacre du Le Spectre de Boko Haram au Festival de Rotterdam. Parmi ceux qui nous ont le plus tapé dans l’œil dans la sélection berlinoise, citons le radical Allensworth, le ludique Love to Love You, Donna Summer, le faux/vrai doc Between Revolutions et surtout le fantastique court Jill, Uncredited. Ce montage d’images cinématographiques sur les mille et une apparitions d’une figurante à travers les années aurait bien mérité l’Ours d’or du court métrage à nos yeux. Quant aux films d’animations, ils n’étaient pas en reste, que ce soit côté courts (bravo à la production française, de A Kind of Testament à Aaaah !) ou côté longs (pas moins de deux longs films animés en compétition – dont le chef-d’œuvre Suzume – c’est un record).


Tótem

Si le palmarès n’a pas entièrement rendu justice à la modernité de la sélection, il aurait de toute façon difficilement pu rendre justice à son grand éclectisme. Si l’on regrette l’absence parmi les primés du Mexicain Tótem, qui faisait figure de favori aux yeux de nombreux observateurs, ou encore de tout le continent asiatique, il faut en revanche souligner l’excitante générosité des sections parallèles, qui cette année nous ont faits passer du found footage kurde au survival burkinabé, de la fable post-apocalyptique aborigène à de la mélancolie queer nigériane. Parmi les sélections parallèles, c’est Encounters qui s’est taillé la part du lion. La section créée par Chatrian il y a quatre ans ne s’est pas contentée de nous offrir les belles découvertes habituelles (dont le grand gagnant Here). De l’écran flou de Hong Sangsoo à l’immersion interactive de Samsara (sans doute la séance la plus incroyable du Festival), elle nous a montré ce que nous étions venus chercher : du jamais-vu.


Tár

Enfin, c’est en parallèle de tout cela, dans un masterclass donnée dans un théâtre, que Todd Field a présenté en toute discrétion le court métrage inédit The Fundraiser, en présence de Cate Blanchett, Nina Hoss et Sophie Kauer qui y reprennent leurs rôles de Tár. Moins qu’un film entièrement indépendant, ces dix minutes qui plongent les héroïnes dans un manoir gothique à la Eyes Wide Shut se regardent davantage comme une belle séquence bonus de Tár. Field a pourtant confirmé qu’il n’avait jamais envisagé d’inclure cette scène dans le long métrage, et que celle-ci demeurera invisible suite à cette projection unique face à quelques centaines de spectateurs à peine. De quoi clouer le bec à celles et ceux qui croyaient que cette édition risquait de manquer de prestige. A ces derniers, nous disons donc comme chaque année : il fallait faire preuve de davantage de curiosité.


Suzume

NOS CRITIQUES

Compétition
20.000 especies de abejas, Estibaliz Urresola Solaguren
Art College 1994, Liu Jian
BlackBerry, Matt Johnson
Le Ciel rouge, Christian Petzold
The Shadowless Tower, Zhang Lu
Disco Boy, Giacomo Abbruzzese
Le Grand chariot, Phillipe Garrel
Ingeborg Bachmann – Journey Into The Desert, Margarethe Von Trotta
Limbo, Ivan Sen
Mal viver, João Canijo
Manodrome, John Trengove
Music, Angela Schanelec
Past Lives, Celine Song
Someday We’ll Tell Each Other Everything, Emily Atef
Sur l’Adamant, Nicolas Philibert
The Survival Of Kindness, Rolf de Heer
Suzume, Makoto Shinkai
Till the End of the Night, Christoph Hochhäusler
Tótem, Lila Avilés


Love to Love You, Donna Summer

Berlinale Special
Infinity Pool, Brandon Cronenberg
Love to Love You Donna Summer, Roger Ross Williams et Brooklyn Sudano
Talk to Me, Danny & Michael Philippou
Tár, Todd Field


Samsara

Compétition Encounters
Absence, Wu Lang
Adentro mio estoy bailando (The Klezmer Project), Leandro Koch, Paloma Schachmann
The Adults, Dustin Guy Defa
The Cage Is Looking For A Bird, Malika Mustaeva
Family Time, Tia Kouvo
Here, Bas Devos
In The Blind Spot, Ayse Polat
in water, Hong Sangsoo
Orlando, ma biographie politique, Paul B. Preciado
Samsara, Lois Patiño
Viver mal, João Canijo


All the Colours of the World Are Between Black and White

Section Panorama
All the Colours of the World Are Between Black and White, Babatunde Apalowo
Au cimetière de la pellicule, Thierno Souleymane Diallo
La Bête dans la jungle, Patric Chiha
El castillo, Martín Benchimol
The Eternal Memory, Maite Alberdi
Femme, Sam H. Freeman, Ng Choon Pin
Heroic, David Zonana
Iron Butterflies, Roman Liubyi
Kokomo City, D. Smith
Passages, Ira Sachs
Sages-femmes, Léa Fehner
Sira, Apolline Traoré
Sisi & I, Frauke Finsterwalder
Stams, Bernhard Braunstein
The Teachers’ Lounge, İlker Çatak


Remembering Every Night

Section Forum
Allensworth, James Benning
Arturo a los 30 (About Thirty), Martin Shanly
Between Revolutions, Vlad Petri
Remembering Every Night, Yui Kiyohara


Section Génération
Mutt, Vuk Lungulov-Klotz
Sea Sparkle, Domien Huyghe


Section Perspective du cinéma allemand
Bones and Names, Fabian Stumm
Sept hivers à Téhéran, Steffi Niederzoll


+ Nos courts métrages favoris de cette édition


Eeva

NOS ENTRETIENS

« Tout a commencé par un rêve » | notre entretien avec Lucija Mrzljak et Morten Tšinakov, réalisateurs d’Eeva (Section Berlinale Shorts)

« Je voulais donner l’impression que les enfants sont sur le point d’exploser à tout moment » | notre entretien avec Osman Cerfon, réalisateur d’Aaaah ! – Section Generation)


NOS AUTRES ARTICLES

Le palmarès complet
Le palmarès de la rédaction
Le palmarès des Teddy Awards
Le palmarès du Panorama
Les films en compétition pour le Teddy Award
Notre page Berlinale et nos news quotidiennes


Dossier réalisé par Gregory Coutaut le 27 février 2023.

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