Critique : Suzume

Dans une petite ville paisible de Kyushu, une jeune fille de 17 ans, Suzume, rencontre un homme qui dit voyager afin de chercher une porte. Décidant de le suivre dans les montagnes, elle découvre une unique porte délabrée trônant au milieu des ruines, seul vestige ayant survécu au passage du temps. Cédant à une inexplicable impulsion, Suzume tourne la poignée.

Suzume
Japon, 2023
De Makoto Shinkai

Durée : 2h02

Sortie : 12/04/2023

Note :

L’ACCORDEUSE DE TREMBLEMENTS DE TERRE

Cela faisait vingt et un ans qu’il n’y avait pas eu de film d’animation japonais en compétition à la Berlinale. Il était peut-être difficile de succéder au dernier élu en date puisqu’il s’agissait de rien de moins que du Voyage de Chihiro et que celui-ci avait gagné un Ours d’or fort mérité. Comment marcher dans les pas d’un film si géant ? Réalisateur des succès Your Name. et Les Enfants du temps, Makoto Shinkai, qui n’en est plus à son coup d’essai, fait déjà partie des noms les plus populaires du genre et signe ici son meilleur film à ce jour. Le long métrage est une réussite si puissante qu’elle s’impose avec bonheur en déjouant les éventuelles comparaisons.

Suzume est un enchantement, un grand spectacle d’une générosité sans pareille, jonglant avec les registres avec maestria. Conte fantastique avec animaux qui parlent, film catastrophe écologique à suspens, comédie romantique inversée (c’est ici une jeune fille qui va sauver un damoiseau en détresse), Suzume est peut-être avant tout un road movie. Au sens figuré c’est un voyage cinéphile à travers des récits typiquement japonais, des fables mythologiques aux mélos familiaux en passant par les histoires de yokai (tiens, une chaise qui marche toute seule). Au sens propre c’est une émouvante promenade en voiture, en bateau et même dans les airs à travers les paysages d’aujourd’hui et d’hier : les grandes cités, les villages de pêcheurs et les endroits abandonnés, parcs d’attractions ou stations thermales englouties par le temps et la nature.

Suzume fait la connaissance d’un garçon possédant le pouvoir magique de prédire et stopper les tremblements de terre, causés par des créatures surnaturelles. Si Makoto Shinkai utilise un argument fantastique pour expliquer ces phénomènes naturels, c’est pour mieux souligner l’importance et l’utilité des mythes dans notre approche de la réalité. Suzume a perdu sa mère « il y a une dizaine d’années », dans un événement qui n’est jamais réellement nommé mais qui évoque en filigrane le tsunami du 11 mars 2011. Le film n’aborde jamais frontalement ce traumatisme national, mais le portrait collectif que Shinkai brosse avec chaleur, la ressource inépuisable de son grand récit d’aventures, tout cela peut se lire comme comme la plus bouleversante des réponses. Un cadeau contre le deuil.

Les larmes ont beau y être plus grosses qu’ailleurs, Suzume n’est pas un tire-larmes plombant. C’est au contraire le plus souvent une course-poursuite galvanisante qui sait mettre en scène l’action avec une énergie contagieuse tout en réservant des gags et des respirations inattendues. C’est surtout une porte grande ouverte vers le merveilleux, où le gigantisme des échelles et la splendeur des couleurs dignes d’une aurore boréale font merveille. C’est à nous aussi de recevoir ce cadeau : celui d’avoir les yeux écarquillés et émus de la première à la dernière minute.

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par Gregory Coutaut

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