Critique : Orlando, ma biographie politique

Un siècle après la publication de Orlando : une biographie de Virginia Woolf, Paul B. Preciado, philosophe et écrivain adresse une lettre à l’écrivaine anglaise pour lui dire que son personnage est devenu réalité : le monde est en train de devenir Orlandesque. Preciado appelle un casting dans l’espace public et sur les réseaux sociaux : « Qui sont les Orlandos contemporains ». A travers un voyage poétique, une traversée politique, le film brosse le portrait d’un monde en mutation.

Orlando, ma biographie politique
France, 2023
De Paul B. Preciado

Durée : 1h38

Sortie : 05/06/2024

Note :

UN LIEU A SOI

Qui sont les nouveaux Orlando, près de cent ans après la parution du fascinant roman éponyme de Virginia Woolf ? C’est une question centrale parmi les nombreuses posées dans le passionnant documentaire Orlando, ma biographie politique de l’artiste et philosophe trans Paul B. Preciado. A travers les pages et les siècles racontés dans le roman Orlando, le personnage de Woolf transitionne. Preciado parle du livre comme d’un talisman : « Ma future existence est devenue possible non pas dans la réalité mais dans la fiction, et grâce à la fiction ». C’est le regard unique de l’autrice britannique, c’est l’histoire de Preciado mais c’est aussi une multitudes d’expériences : près de 30 « Orlando » d’aujourd’hui témoignent, des intervenant.e.s d’une ampleur d’âges aussi vaste qu’un lectorat de Tintin (entre 8 et 70 ans).

On raconte ici pour survivre à la violence. On raconte la violence institutionnelle, l’effacement social, on s’adresse à la caméra. Les histoires intimes dans Orlando, ma biographie politique, sont collectives. Même texte, différentes voix – un parti-pris qui se prête d’ailleurs à merveille au sujet d’un récit sur la métamorphose et la subjectivité. Les confessions à la première personne et les citations du livre peuvent être dites sur un même ton, sans nette différenciation. On avance à la bougie et l’on découvre. A l’image du récit de Woolf qui a beau s’intituler Orlando : une biographie, et qui est bien davantage un roman qu’une bio, la vie dans le film de Preciado n’est pas vue comme « une biographie avec une série d’étapes, elle consiste en la métamorphose de soi ».

C’est le passé et des pionnières comme l’Américaine Christine Jorgensen ou la Française Coccinelle, ce sont des enfants aujourd’hui. « Votre histoire vous appartient », entend-on dans ce documentaire où l’entourage pensera toujours mieux savoir que les premières et premiers concerné.e.es. « Cachez les biscuits, ne portez pas de bijoux », parmi les inepties conseillées. Le film n’est pas une demande d’autorisation, ce sont de nombreuses affirmations. Orlando avance inexorablement dans le temps et se métamorphose. Les Orlando d’aujourd’hui n’ont elles et eux plus la patience d’attendre l’autorisation des hétéroflics.

Le cinéaste pose, mais aussi évacue assez rapidement, la question de classe. L’aristocratie d’Orlando est soulignée, de même que le milieu très populaire dont Preciado est issu. Qu’importe : la plupart des actrices et acteurs déclameront la fraise autour du cou. Ce n’est pas parce que le sujet est sérieux que le film doit être écrasé par une dimension sentencieuse. Il y a des respirations et du jeu dans Orlando, ma biographie politique – à l’image d’un choix de casting en fin de film qu’on ne dévoilera pas, mais qui tient du génie comique. Les décors artificiels, montrés dans leur artifice, constituent également un moyen ludique dans ce film qui parle lui-même de construction culturelle artificielle.

Woolf l’écrivait elle-même dans son journal au sujet de l’écriture d’Orlando : « La vérité est que j’ai sans doute commencé par jeu et poursuivi sérieusement ». Preciado fait peut-être le chemin inverse mais le mélange est le même : le film est riche de ses tons et de ses registres, riche de ses dizaines d’expériences, riche d’une liberté galvanisante pour dessiner sans naïveté son utopie, et a ce talent particulier de savoir énoncer avec clarté et de manière accessible ses idées, des plus limpides aux plus complexes. Un brillant tour de force.

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par Nicolas Bardot

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