Critique : El Agua

C’est l’été dans un petit village du sud-est espagnol. Une tempête menace de faire déborder à nouveau la rivière qui le traverse. Une ancienne croyance populaire assure que certaines femmes sont prédestinées à disparaître à chaque nouvelle inondation, car elles ont « l’eau en elles ». Une bande de jeunes essaie de survivre à la lassitude de l’été, ils fument, dansent, se désirent. Dans cette atmosphère électrique, Ana et José vivent une histoire d’amour, jusqu’à ce que la tempête éclate…

El Agua
Espagne, 2022
De Elena Lopez Riera

Durée : 1h44

Sortie : 01/03/2023

Note :

LA RIVIÈRE DE NOTRE ENFANCE

Contrairement à son titre limpide, le premier film de la réalisatrice espagnole Elena López Riera, présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs, est faussement simple ou plutôt d’une intrigante opacité. Dans un village, des jeunes filles passent le temps. On dirait que c’est l’été mais à vrai dire, ce coin de la région de Valence est si désertique que l’ennui qu’elles éprouvent pourrait tout aussi bien être permanent. C’est à la fois un décor bien connu avec ses terrasses de bar et ses fêtes d’ados, et un décor étrange, fait de maisons parsemées à l’orée d’un fleuve desséché, comme au bord du vide.

Tous les éléments sont réunis pour un récit d’apprentissage estival familier : le premier amour avec un étranger de passage, les copines qui s’éloignent et se retrouvent, la relation avec maman qui évolue. Mais dans le décor comme dans le ton, Elena López Riera sait inviter le décalage sans crier gare. Celui-ci prend la forme d’une légende locale voulant que certaines jeunes filles se retrouvent fascinées par les crues de la rivière au point d’y être emportées. Si elle reste trop en suspension pour faire pleinement basculer le film dans la fable, cette piste laisse planer un chouette voile fantomatique sur une bonne partie du film.

Outre ce pressentiment merveilleux, la réalisatrice ouvre çà et là des parenthèses documentaires (des entretiens avec des femmes du villages, d’authentiques images télévisées d’inondations). Dans ces moments inattendus, le relief du film se fait aussi amusant à explorer que celui du lit rocailleux de la rivière. El Agua fait pourtant le choix de revenir toujours sur la piste la plus identifiée, celle du réalisme adolescent. C’est parfois dommage, mais cela ne doit pas faire oublier les autres qualités du film : la justesse d’écriture, l’interprétation et la photo sont ici d’un niveau supérieur à la moyenne de ce type de récit. Ni raz-de-marée ni fleuve tranquille, El Agua ressemble plutôt à une bien belle rivière où l’on jouirait du mini-vertige de perdre pied l’espace d’un instant.

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par Gregory Coutaut

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