Critique : Le Ciel rouge

Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n’a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s’enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur, la luxure et l’amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes sont là.

Le Ciel rouge
Allemagne, 2023
De Christian Petzold

Durée : 1h43

Sortie : 06/09/2023

Note :

LE CENTRE DU MONDE

« Quelque chose cloche » : la première réplique entendue dans Le Ciel rouge, dite par un personnage au volant de sa voiture, pourrait être celle d’un film d’horreur. La suite confirme cet archétype : une panne qui survient dans des bois forcément hostiles, des protagonistes qui se séparent avant la tombée de la nuit… On sait Christian Petzold (lire notre entretien) volontiers friand de films d’horreur – et le cinéaste n’est pas dupe de ces clichés. Il y a une certaine ironie ici à voir un réalisateur dont le cinéma est habituellement peuplé de fantômes (mais dont les films ne sont jamais vraiment des films de fantômes au sens horrifique et premier du terme) signer ici un long métrage dont le début s’inscrit aussi explicitement dans le cinéma de genre.

Comme on pouvait le deviner, Le Ciel rouge ne rentrera pas spécifiquement dans cette case. D’ailleurs à quelle case le long métrage appartient-il ? S’il donne l’impression (là encore : une fausse impression) d’être en terrain familier – à savoir le récit sentimentalo-d’apprentissage estival – Le Ciel rouge n’obéit pas suffisamment aux règles pour être étiqueté. Est-ce un film d’horreur ? Est-ce une comédie, une comédie dramatique ? Un film catastrophe ? Un peu tout cela et rien entièrement, à l’image de son récit dont les thématiques ne se dévoilent que peu à peu.

Les admirateurs de Petzold peuvent en effet être d’abord un peu interloqués par Le Ciel rouge. Même si ses derniers films avec Paula Beer (encore une fois excellente ici) étaient un peu plus grand public que ses premiers essais radicaux, Le Ciel… est très clairement le film le plus accessible de son auteur. Il y a d’abord une insouciante légèreté qu’on ne lui connaissait pas forcément. Lorsque les deux amis arrivent dans la maison familiale de vacances, celle-ci, comme la chaumière des trois ours, semble déjà occupée. Mais qui envahit qui ? Ce qui pourrait être un questionnement angoissé et angoissant dans ses autres films est traité de manière beaucoup moins dramatique ici.

Il y a pourtant quelque chose qui se noue, tandis que les feux de forêt progressent dans la région. On entend les bruits des Canadair dans le ciel et des sangliers aux alentours, mais tout reste invisible. Ce qu’on voit avant toute chose, c’est Leon. Leon travaille sur son second livre, c’est très important pour lui, c’est donc censé être très important pour tout le monde. Leon ne veut pas aller à la plage, Leon n’aime pas que les baises de la chambre d’à côté fassent trop de bruit, Leon veut pouvoir dormir. Leon est un bébé bougon, avec un gros ego de bébé. Ou juste un ego de jeune homme persuadé d’être au centre du monde.

Cela pourrait manquer de finesse chez des scénaristes moins habiles, c’est amené avec un intelligent savoir-faire de la part de Petzold. Leon en génie pathétique pourrait faire l’objet d’une comédie spirituelle et mordante, mais peu à peu le film se pare d’une amertume, d’une violence et d’une cruauté qui donnent de l’aspérité à l’histoire. Ce jeune homme, comme tant et tant de garçons qui lui ressemblent comme deux gouttes d’eau, a le syndrome du protagoniste : les gens qui l’entourent ne peuvent être que des personnages secondaires. Il y a évidemment quelque chose de jubilatoire pour le public, et d’insupportable pour Leon, de constater que le monde peut très bien (voire mieux) tourner sans lui.

Cette question du décentrage est traitée avec un terrifiant cynisme – et probablement beaucoup de réalisme – par Christian Petzold. Comment un Leon peut réagir tandis que la fin du monde semble frapper à sa porte ? Qu’est-ce qu’un Leon peut avoir affaire à une tragédie si celle-ci ne le touche pas lui en premier lieu ? Le dénouement, qu’on ne dévoilera évidemment pas, est d’une violence glaçante, mais le point de vue, celle d’un centre du monde qui jamais n’acceptera de changer de perspective, l’est tout autant. Sous ce ciel rouge, Petzold réussit un portrait brillant, impitoyable et plus complexe qu’on ne l’imagine.

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par Nicolas Bardot

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