Critique : Mal Viver

Dans un hôtel de la côte nord du Portugal, vivent plusieurs générations de femmes d’une même famille. L’arrivée inattendue de la plus jeune réveille des rancunes accumulées.

Mal viver
Portugal, 2023
De João Canijo

Durée : 2h07

Sortie : 11/10/2023

Note :

PRISON POUR FEMMES

Quand la jeune Salomé arrive à l’hôtel dans lequel va se dérouler tout Mal Viver, ce n’est pas dans l’optique d’y passer ses vacances. Si elle y est accueillie à bras ouverts par sa mère et les autres femmes de sa famille, le langage corporel de chacune ne laisse pas de doute sur la présence d’un malaise de taille. Que s’est-il déroulé avant ces retrouvailles pas franchement chaleureuses ? La question posée à voix haute reste sans réponse. Quels liens unissent exactement les cinq héroïnes de ce flamboyant psychodrame à venir ? Le cinéaste portugais João Canijo (lire notre entretien) n’offre pas d’éclaircissement d’emblée. Il nous invite à pénétrer nous aussi dans l’hôtel et referme la porte derrière nous. Nous ne reverrons pour l’extérieur de tout le reste du film.

La mère, les tantes et la grand-mère de Salomé sont les co-gérantes et presqus les uniques résidentes d’un hôtel confortable mais vide, où les clients peinent à arriver. Avec personne d’autres à qui faire la discussion, elles sont contraintes de cohabiter alors qu’elles ont visiblement une envie folle de s’étrangler mutuellement. Au cœur du problème se trouve la mère de Salomé, murée dans une dépression qui lui fait dire les vacheries les plus insensées (« Ce chien est la personne la plus importante dans ma vie », confie-t-elle en toute innocence). Comme une maladie, son ressentiment vient contaminer tout le monde autour d’elle.

Cette maison de folles pourrait être le cadre d’une comédie avec claquement de portes et panique à tous les étages. Mal Viver est en réalité le plus stricte inverse : ce portrait d’une psychose collective est baigné dans une lenteur et une atmosphère magnétiques. On pourrait avoir peur de passer deux heures avec ces personnages étranges mais peu aimables qui s’engueulent, mais la mise en scène se montre très généreuse, riche d’un invitant sens du mystère. Les intérieurs aux couleurs a priori anxiogènes (oranges et marrons, de quand date cette décoration ?) sont au contraire embellis pas une lumière dorée et chaleureuse. Une solitude folle dans un écrin miroitant : l’ambitieux contrepied esthétique de Canijo rappelle celui de sa compatriote Teresa Villaverde dans Contre ton cœur.

Mal viver possède une unité de lieu et de personnages, mais il est trop splendide et radical pour ressembler à du théâtre filmé. D’ailleurs l’unité de temps, d’abord respectée, commence à se détraquer peu à peu. Des scènes reviennent, filmées sous un autre angle, comme si on revenait toujours au même point en cherchant son chemin. Visiblement incapables de se parler sans éclats de violence physique ou mentale, mais tout autant incapables de quitter les lieux, ces femmes aux prénoms de tragédies grecques semblent victimes d’une malédiction, et on finit par se demander si leur hôtel de plus en plus fantasmagorique ne serait pas cousin de l’Overlook.

Tour de force de mise en scène, Mal viver finit tout de même par souffrir un peu de son très grand sérieux et de sa durée. Or, le film est en réalité la moitié d’un diptyque. L’autre volume, baptisé Viver mal, se déroule au même endroit et au même moment mais en se concentrant sur les clients de l’hôtel, avec un ton et un rythme différents. Il n’est pas du tout nécessaire de voir cet autre film pour apprécier celui-ci (d’ailleurs, ils sont présentés dans deux sections différentes ici à la Berlinale), mais il est certain qu’ils s’enrichissent mutuellement. Exigeant mais fascinant, ce portrait collectif dérangé gagne à être vu et admiré dans son entièreté et toute son ambition.

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par Gregory Coutaut

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