Critique : Viver Mal

Un hôtel de la côte nord du Portugal, plusieurs familles de touristes se prélassent autour de la piscine, pendant que la famille des propriétaires se déchirent. Les tensions semblent peu à peu toucher tous les résidents.

Viver Mal
Portugal, 2023
De João Canijo

Durée : 2h05

Sortie : 11/10/2023

Note :

HAVRE DE GUERRE

Viver mal se déroule intégralement dans un hôtel situé on ne sait trop où au Portugal. Ce que les quelques voyageurs qui y séjournent sont venus chercher dans cette région, nous l’ignorons non seulement parce que la caméra du cinéaste João Canijo (lire notre entretien) ne s’aventure jamais au delà de l’enceinte du domaine, mais aussi parce que les visiteurs n’ont justement pas l’air pressés de mettre le nez dehors. Plus que des valises, ce sont de lourds bagages psychologiques qu’ils traînent avec eux et ils ont beaucoup de linge sale à déballer en famille. Comme s’ils étaient venus pour ça, comme si cet hôtel anonyme n’était là que pour servir de terrain neutre à de violents règlements de comptes.

Entièrement féminin, le personnel de l’hôtel se montre pourtant accueillant et même de bon conseil au moment de parler d’amour ou de proposer des verres de vin si capiteux qu’ils font l’effet d’un sérum de vérité. Ces femmes restent néanmoins le plus souvent dans l’ombre (pas toujours assez pour étouffer leurs mystérieux cris de terreur) et c’est très majoritairement sur les estivants que se concentre Viver mal. Or, qu’ils soient en couple ou en famille, ces derniers n’ont semble-t-il qu’un seul mot d’ordre pour leurs vacances : se balancer les pires vacheries à la figure et tenter de se pulvériser mutuellement à force de cruauté mentale.

Cela pourrait être une comédie névrosée pleine de portes qui claquent, mais Canijo badigeonne ces duels d’un verni tellement acide et méchant qu’il n’y a plus de quoi rire, plutôt de quoi être bouché bée devant cette avalanche de dialogues parmi les plus violents entendus depuis longtemps. Celles et ceux qui ronronnent de terreur devant les personnages de monstrueuses mères castratrices ne seront franchement pas déçus. Ces dernières, leurs filles nunuches ou leurs amants machos, sont tous et toutes infichus de se comporter comme des familles normales, mais sont tout autant incapables de claquer la porte de l’hôtel. Car derrière ses apparences théâtrales, Viver mal est en réalité un film à la mise en scène ambitieuse. Certaines scènes reviennent en boucles comme de mauvais rêves, en se focalisant sur des détails ou des personnages différents à chaque fois, et on finit par se demander si ces personnages ne sont pas prisonniers d’un huis-clos buñuelien ou s’ils ne sont pas déjà en enfer.

Viver mal est en réalité la moitié d’un diptyque. L’autre volume, baptisé Mal viver, se déroule au même endroit et au même moment mais se concentre sur les tenancières de l’hôtel, avec un ton et un rythme différents. Il n’est pas du tout indispensable de voir cet autre film pour apprécier celui-ci (d’ailleurs, ils sont présentés dans deux sections différentes ici à la Berlinale), mais il est certain qu’ils s’enrichissent mutuellement. Si la superbe mise en scène de Canijo est davantage mise en valeur par la lenteur fantomatique de Mal viver, Viver mal à pour lui une structure narrative plus vivante et accessible, un relief qui mord avec plus d’immédiateté quitte à se terminer abruptement. Drame féroce sur la violence des liens familiaux, ce portrait collectif dérangé gagne à être vu et admiré dans son entièreté et toute son ambition.

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par Gregory Coutaut

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