Critique : Au cimetière de la pellicule

En 1953, Mamadou Touré réalisait Mouramani, un film de 23 minutes. Pour beaucoup de personnes ce film est le premier film réalisé par un noir d’Afrique francophone. Ce film reste un mystère, tout le monde en a entendu parler mais personne ne l’a jamais vu, personne ne sait non plus où se trouve la copie s’il en reste une. Mon film, c’est cette quête.

Au cimetière de la pellicule
France/Guinée, 2023
De Thierno Souleymane Diallo

Durée : 1h33

Sortie : 05/07/2023

Note :

NOS SOUVENIRS ENFOUIS

« Tes souvenirs sont pleins de poussière ! », lance un interlocuteur rigolard au cinéaste Thierno Souleymane Diallo (lire notre entretien). Il ne croit pas si bien dire. Les souvenirs en question sont des bobines retrouvées dans un piteux état, recouvertes par le sable. Et c’est effectivement après un souvenir que Thierno Souleymane Diallo court : Mouramani, un film réalisé par Mamadou Touré en 1953. Ce court métrage d’une vingtaine de minutes est censé être le premier film guinéen de l’Histoire. Mais personne ne semble pouvoir mettre la main dessus : où ce vieux souvenir est-il enfoui ?

Diallo s’approche d’un vieux cinéma abandonné. Le panneau « les films du jour » est vide depuis longtemps, tandis que les billets d’entrée retrouvés par terre ont l’air de reliques. La quête cinéphile de Thierno Souleymane Diallo est un moyen de remonter le temps : ce cinéma-là passait des westerns, des « films chinois », des pornos (mais seulement à partir de 21 heures)… Les pellicules retrouvées le prouvent, les personnes rencontrées le confirment. « Je suis nostalgique des cinémas », dit-on. Ce n’est pas seulement le film mystérieux de Mamadou Touré qui a disparu, ce sont des écrans, des salles, quelque chose qui témoigne qu’il y avait de la vie dans tel ou tel endroit désormais vide.

Quelle odeur a la pellicule brûlée ? Les vieilles caméras ont-elles été transformées en marmite ? Là où Thierno Souleymane Diallo se rend, tout semble avoir été détruit ou bradé. « Nous n’avons pas de culture des archives », indique un protagoniste au cinéaste qui « ferait mieux d’aller au CNC ». CNC ou pas, le réalisateur filme cette absence de considération pour la mémoire, mais il examine aussi les souvenirs qui restent. Personne n’a vu Mouramani, pourtant tout le monde peut en parler un peu.

Le film se déploie tandis que Thierno Souleymane Diallo voyage en France. A La Clef, où se pose la question de la diffusion des œuvres sur grand écran, de l’expérience commune. Sur les lieux de tournage de Mouramani, dont le fantôme plane dans le Bois de Vincennes. Le cinéaste retrouvera-t-il cette licorne ? Le film recherché peut revivre lorsqu’on l’évoque oralement, lorsqu’il fait l’objet d’une performance dans les rues, lorsque, enfin, il est recréé. Et Thierno Souleymane Diallo, en creux, d’explorer cette émouvante question : les films sont-ils nos mythes communs ?

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par Nicolas Bardot

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