Critique : The Survival of Kindness

Dans un désert aride, brûlé par le soleil, une femme est enfermée dans une cage. Au bord de l’épuisement, elle arrive à sortir et prend son destin en main. Son voyage débute dans l’espoir de rejoindre les frontières de l’humanité, entre récit picaresque et SF post-apocalyptique.

The Survival of Kindness
Australie, 2023
De Rolf de Heer

Durée : 1h36

Sortie : 13/12/2023

Note :

LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT

The Survival of Kindness est le premier long métrage de l’Australien Rolf de Heer (lire notre entretien) en 10 ans : Charlie’s Country, passé entre autres par le Festival de Cannes, remonte en effet à 2013. Cette épopée est pourtant un projet « de secours » après un autre balayé par la crise sanitaire. Epuré, tourné avec une mini-équipe et en décors naturels, The Survival of Kindness ne manque pas d’ambition pour autant. Le film débute en trompe l’oeil : des images d’un diorama apparaissent à l’écran, mais les mignonnes figurines sont utilisées pour des scènes de tortures – un peu comme si Rithy Panh s’était amusé à confectionner un gâteau d’anniversaire. Si le titre du long métrage suggère la survie d’une forme de bonté, il sera avant tout ici question d’une histoire de la violence.

Une femme est abandonnée par ses étranges bourreaux, seule, dans une cage, en plein désert. Sa vision de l’immensité australienne (celle du désert à perte de vue, celle d’extraordinaires étoiles) est quadrillée par les barreaux de sa minuscule prison. Pendant tout le film, le travail sur les échelles est remarquable, des décors forcément fous de la nature en Australie (ici au sud de sa partie continentale et en Tasmanie) jusqu’à l’infiniment petit d’insectes filmés à la façon d’un Microcosmos. Cette approche invite dans le long métrage une tension fantastique qu’on n’avait pas anticipée.

A quelle époque The Survival of Kindness se déroule-t-il ? Combien de temps passe lors du périple de l’héroïne ? Ce flou narratif est stimulant par sa manière de creuser un vertige ; le récit historique attendu se teinte d’une parabole qui emprunte à la science-fiction avec ses touches de steampunk. La protagoniste, interprétée avec charisme par Mwajemi Hussein, est elle-même presque davantage une allégorie qu’un personnage à proprement parler – mais cela fonctionne tout à fait avec ce que le film a à raconter.

The Survival of Kindness rappelle la démarche d’un autre film australien récent : The Nightingale de Jennifer Kent. Kent, elle aussi, mêlait le récit historique au film de genre (là encore un périple et une histoire de survie), afin de signer un allégorie politique de la brutalité, qu’il s’agisse de la colonisation ou du racisme. Chez Rolf de Heer comme chez Jennifer Kent, l’utilisation du cinéma de genre donne un relief particulier à leurs récits qui décollent du strict déroulé factuel.

Un autre trompe l’œil plus tard dans The Survival : le relief d’un arbre et de ses écorces, pas immédiatement perceptible à l’oeil, ressemble à un étrange miroir posé dans la nature. La nature, comme dans nombre de films australiens, joue un rôle narratif particulièrement spectaculaire. Les images prennent d’ailleurs toute la place dans le long métrage, dont le pari est d’être pratiquement entièrement muet. Si le film est meilleur lorsqu’il est le plus épuré, ses différentes prises de risque sont payantes. The Survival of Kindness est visuellement impressionnant, sait dérouter d’un point de vue narratif, et ne perd jamais de vue la dignité de sa protagoniste dont on suit le parcours en marchant littéralement dans ses souliers.

Proche de la structure du conte de randonnée, le dénouement est lui d’une puissante amertume. Se sort-on jamais de la violence raciste systémique ? Peut-on être délivré de cette prison ?

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par Nicolas Bardot

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