Festival des 3 Continents | Critique : The Shadowless Tower

Gu Wentong est un critique gastronomique divorcé. Il a une fille qui est élevée par sa sœur. Wentong n’a plus eu de contact avec son père depuis son enfance. Un jour, il apprend que celui-ci vit seul à Beidaihe, une ville côtière située à 300 kilomètres au nord-est de Pékin. Wentong entame une relation avec une collègue plus jeune, également originaire de Beidaihe. Il commence alors à reconsidérer ses rôles de père, de fils et d’amant.

The Shadowless Tower
Chine, 2023
De Zhang Lu

Durée : 2h24

Sortie : –

Note :

SANS FAMILLE

Le premier plan de The Shadowless Tower montre une tombe : c’est celle de la grand-mère devant laquelle les membres de la famille se réunissent. On suit le rituel, chaque salut face à la stèle est minutieusement compté. The Shadowless Tower semble parti pour être un respectueux portrait familial traditionnel (et même éternel), mais il n’en est rien. Rapidement, la fille s’étonne : « qui a bien pu laisser des fleurs sur la tombe ? ». Une enfant ainsi que deux hommes l’accompagnent, mais qui est le père ? Et « papa est-il bon ou mauvais ? », comme s’interroge la fillette, davantage calée en table de multiplications qu’en mystères de la nature humaine.

De ce quatuor émerge l’anti-héros du long métrage : Wentong, un homme à la fois vieillissant et sans âge (le propriétaire d’un restaurant le compte parmi « les jeunes », ce qu’il n’est manifestement plus). Wenton a abandonné ses ambitions de poète pour devenir critique culinaire : c’est un gourmet solitaire commente t-on dans le film, en chaleureuse référence à Taniguchi. Mais le portrait composé par Zhang Lu est-il si tendre ? La poésie subsiste, elle est encore là au coin de la rue – ici par exemple habitait Lu Xun, là la fillette récite des poèmes avec son père. Mais Wentong, sa famille, les protagonistes en général, paraissent comme avalés.

Par quoi ? Par la ville d’abord. Les décors, intérieurs ou extérieurs, privés ou publics, servent ici de révélateurs. Une grande pagode, qui surplombe le quartier et ne semble pas avoir d’ombre, relie mystérieusement les personnages. Les sons de la ville sont très présents : ceux du bar, ceux des vélos qui passent, ceux de la rue, ceux du train – on entend même nettement des bruits de circulation dans une scène à la fin du long métrage alors que personne ne semble emprunter cette ruelle. « Ca a toujours été comme ça ? », se demande-t-on devant un mur qui, peut-être, a été repeint.

Beijing vous tend les bras, affirme une chanson entonnée à tue-tête. Pas si sûr : les convives autour du banquet sont soit ivres morts, soit en larmes. Derrière cette scène ironique, il y a avant tout un portrait familial assez impitoyable. The Shadowless Tower est plus amer que le tourment paisible qui habitait Yanagawa, précédent long métrage du cinéaste. C’est un récit de mauvais pères et de mauvaises mères, de tout ce qui a échoué. « Trop de politesse érige des murs entre les gens », suggère un personnage. Des murs il y en a, au point que des connaissances ignorent si untel est divorcé, si l’autre a des enfants.

Le regard de Zhang Lu est pourtant sans cruauté. Il est complexe et nuancé, à la hauteur de ses protagonistes. Les situations, les relations familiales, sont ambivalentes. Un homme note qu’un mot dans deux langues peut signifier à la fois « amour » et « idiot ». Le père dans The Shadowless Tower n’est pas vraiment un père, la tante peut être une mère, l’amie une fille. Ce n’est pas tant à une redistribution des rôles familiaux qu’on assiste, mais à cet étrange et profond paradoxe : The Shadowless Tower est un puissant portrait de famille sans famille.

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par Nicolas Bardot

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