Critique : ALLENSWORTH

En 1908, Allensworth est devenue la première municipalité afro-américaine autogérée de Californie. James Benning arpente les bâtiments de la ville aujourd’hui abandonnée à la recherche les traces d’une histoire culturelle noire.

ALLENSWORTH
Etats-Unis, 2023
De James Benning

Durée  1h05

Sortie : –

Note :

SECRETS D’HISTOIRE

Habitué de la Berlinale, le cinéaste américain James Benning y a présenté un nombre conséquent de ses documentaires brillants et exigeants. Pour l’avant-dernier en date, The United States of America, il était littéralement allé filmer aux quatre coins de son pays. C’est un voyage strictement inverse qu’il propose ici puisque la commune d’Allensworth est une bourgade anonyme, presque une ville fantôme, qui pourrait se trouver dans n’importe quel état américain. Sous ses piteuses apparences (à peine quelques granges ici où là), Allensworth possède pourtant une histoire précieuse puisque ce fut la toute première communauté californienne à être entièrement dirigée par des Afro-Américains, et ce dès 1908.

De ce passé passionnant, que reste-t-il aujourd’hui? Pas même un musée ou une plaque commémorative. « J’ai eu envie de réaliser ce film parce que personne n’avait entendu parler de cette ville » a précisé Benning en venant présenter le film. ALLENSWORTH, à qui le cinéaste redonne ses majuscule, est divisé en douze plans fixes de cinq minutes. Une mise en scène habituelle pour le cinéaste, chez qui l’immobilité sert de moteur narratif, poussant le spectateur à imaginer. Le premier plan montre ce qui n’est même pas encore une ville. A peine un arbre sec, une nature morte. Le deuxième filme une maison vide, celle qui apparaît dans le troisième a vaguement l’air habitée…

Benning invite notre regard à pénétrer plus profondément, que ce soit derrière les façades (des gens résident-ils encore ici?) ou en direction du passé. Le dispositif d’ALLENSWORTH peut avoir l’air intransigeant, mais il n’est pas dénué de poésie (un train qui passe semble prêt à écraser la ville comme si elle n’était qu’un mirage). Ces douze plans sont de superbes compositions, ce qui n’empêche pas Benning d’y démontrer la brutalité de l’oubli collectif qui a transformé ce haut lieu des droits sociaux en no man’s land, mais il offre aussi une main tendue. Dans ses meilleurs moments, ce documentaire possède la chaleur bienfaisante d’un recueillement collectif, comme celui qui fait suite à un deuil.

« Vous ne connaissez même pas la moitié des faits » prévient un poème enfantin lu à mi-parcours. Moins qu’un film tourné vers le passé, ALLENSWORTH est en effet une invitation à réécrire et se réapproprier tout ce qui a été effacé à tort. A l’image du tube My Girl, Where Did You Sleep Last Night, popularisé par la reprise de Nirvana mais redécouvert ici dans sa version d’origine intitulée In the Pines et dont le refrain aux sombres paroles parlait en réalité de Black Girl.

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par Gregory Coutaut

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