Critique : Music

Trouvé à sa naissance par une nuit de tempête dans les montagnes grecques, Jon est recueilli et adopté, sans avoir connu ni son père, ni sa mère. Adulte, il rencontre Iro, surveillante dans la prison où il est incarcéré à la suite d’un drame. Elle recherche sa présence, prend soin de lui tandis que la vue de Jon commence à décliner…

Music
Allemagne, 2023
De Angela Schanelec

Durée : 1h48

Sortie : 08/03/2023

Note :

LA MUSIQUE DE MON COEUR 

Le premier plan de Music montre une montagne qui peu à peu est recouverte par une brume épaisse. Celle-ci envahit l’écran et c’est presque un effet 3D : il faut accepter de s’y baigner comme dans le mystère qui enveloppe le nouveau long métrage de l’Allemande Angela Schanelec (lire notre entretien). Quatre ans après le tout aussi énigmatique J’étais à la maison, mais… qui lui a valu le prix de la mise en scène à la Berlinale, la cinéaste signe une libre adaptation du mythe d’Œdipe. Il faut attendre une quarantaine de minutes pour entendre les premiers dialogues, encore plus pour de la musique : le film n’a absolument pas peur de se frotter à ce qui pourrait ressembler à une caricature austère. Le résultat est à nouveau d’une maestria qui laisse bouche bée.

Dans la Grèce filmée par Schanelec, le soleil est tel qu’il ne semble y avoir nulle part pour se cacher. Chaque détail compte, capté par une caméra attentive et précise. Des pieds, des mains, une queue de cheval. Des gros plans morcelés suggérant que les protagonistes sont pieds et poings liés face à la tragédie ? Toujours est-il qu’avec un incroyable talent, l’expressivité chez la cinéaste passe moins par un visage, des yeux, un sourire, que la manière dont des mains sont posées sur un évier. Il suffit d’un plan sur des pieds ensanglantés, sortant d’une voiture, pour donner l’impression d’une apparition spectrale. La profondeur et le vertige magnétiques sont obtenus par le dépouillement, en cela la mise en scène du long métrage évoque celle rigoureuse et sublime d’un Bresson.

Le vent, les cloches des chèvres, la mer. Là aussi l’expressivité passe davantage par les sons et le silences que par les dialogues, que par ce qui est dit et articulé. Les visages des acteurs ressemblent à des masques figés – un choix ironiquement idéal pour une tragédie grecque. La retenue et l’épure font des miracles : chaque plan du film est superbe, et ce de plus en plus. « C’est dans l’omission que réside la chance de raconter », commente la cinéaste. Ces ellipses créent un tourbillon et sont un moyen stimulant que la cinéaste exploite pour raconter son histoire.

Comme dans J’étais à la maison, mais…, la famille dans Music est une énigme, une nébuleuse où chacun flotte séparément. « Nos vies sont remplies d’échecs de compréhension mutuelle », dit Schanelec. La mort, inévitable, semble rôder partout. Dans une scène incroyable, un protagoniste perd la vue : la vie, est-ce cela, avancer à l’aveuglette ? Comment passe-t-on d’une étape de notre vie à une autre ? Il n’y a semble t-il pas de lien, d’articulation, juste des moments juxtaposés – tout pourtant a l’air essentiel et d’une pureté lumineuse.

Schanelec orchestre ce tour-de-force de manière bouleversante. La grandeur de la tragédie rencontre le minimalisme de son cinéma. On est parfois stupéfait, comme hébété, devant ses contrastes. On peut passer d’une Grèce sans âge à Potsdamer Platz en un voyage dans le temps, d’une génération à une autre, d’une époque à une autre. Un voyage, très certainement, qui confirme la place de choix d’Angela Schanelec parmi les cinéastes vivants les plus brillants.

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par Nicolas Bardot

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