Critique : Past Lives – nos vies d’avant

A 12 ans, Nora et Hae Sung sont amis d’enfance, amoureux platoniques. Les circonstances les séparent. A 20 ans, le hasard les reconnecte, pour un temps. A 30 ans, ils se retrouvent, adultes, confrontés à ce qu’ils auraient pu être, et à ce qu’ils pourraient devenir.

Past Lives – nos vies d’avant
Etats-Unis, 2023
De Celine Song

Durée : 1h45

Sortie : 13/12/2023

Note :

LE TEMPS RETROUVÉ

« Qui sont-ils les uns pour les autres ? » : c’est la question que se pose une voix hors champ, à vrai dire à notre place de spectateur, en observant trois personnes accoudées à un bar. La caméra est placée de telle manière que nous sommes invités à nous poser les mêmes questions. S’agit-il d’un couple et d’une nouvelle connaissance ? De touristes et d’un guide ? De frères et sœurs accompagnés d’un ami ? Qu’indique leur langage corporel, les deux inconnus asiatiques ou asio-descendants sont-ils forcément liés d’une quelconque manière ? L’excellente première scène de Past Lives ressemble déjà à un stimulant Rubik’s Cube de possibilités narratives, lançant les différentes pistes romanesques de ce premier long métrage.

La réalisatrice américaine Celine Song n’a effectivement pas peur du romanesque. La tension romantique voyage dans le temps et traverse les continents, la musique et l’image chaleureuses sont là pour nous séduire – et il n’y a pas de mal à cela. Past Lives peut, à première vue, sembler un peu trop lisse, mais il y a aussi une singularité dans le film à traiter de thèmes sérieux (l’identité, le déracinement et ce qu’il peut avoir de violent, la manière de marier différentes cultures) sur un ton qui reste relativement léger sans les intégrer, comme on s’y attendrait, dans un drame. Tout n’a pas à être dramatique.

Song l’a bien compris dans son film qui ne cherche pas à construire d’antagonismes faciles. Le long métrage n’utilise jamais réellement les recettes épuisées du triangle amoureux – ou alors pour détourner les attentes le temps d’un clin d’œil. La prévisibilité de la structure propre aux romances classiques est également déjouée par la place donnée aux ellipses. Le film peut remonter 24 ans en arrière, avaler les années par douzaines : ces ellipses construisent autant les personnages que ce qu’on peut voir se dérouler à l’écran.

De quelles vies passées parle le titre ? De la vie que Nora a laissée derrière elle en Corée du Sud, jusqu’à changer son nom ? Parle-t-on de providence, d’un destin qui s’accomplit, de vies antérieures qui dessinent un chemin ? C’est là aussi une piste romanesque mais, de manière plus prosaïque, le film traite avec finesse de la façon dont l’identité se construit : avec ce qu’on apprend et qu’on gagne, avec également ce qu’on laisse et oublie peu à peu. Nora est-elle encore la fillette sud-coréenne d’hier, l’autrice américaine d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela signifie, au fond, être « coréen-coréen » ou « coréen-américain » ? Nora est désormais américaine, peine à retrouver son hangeul en tapant sur le clavier d’ordinateur. Le coréen reste son langage secret, celui des rêves et des confidences. De manière profonde et assez inédite derrière son apparence classique, Past Lives s’invite dans cet espace intime avec une grâce et une pudeur remarquables.

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par Nicolas Bardot

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