Festival de Allers-Retours | Critique : Art College 1994

Dans les années 90, un groupe de jeunes artistes chinois se préparent à affronter le monde tandis que la Chine s’ouvre peu à peu à l’Occident. 

Art College 1994
Chine, 2023
De Liu Jian

Durée : 1h58

Sortie : –

Note :

QUE SAIS-JE

Le Chinois Liu Jian (lire notre entretien) avait été remarqué notamment avec son jubilatoire Have a Nice Day, un mélange particulièrement mordant de polar et de comédie noire passé par la compétition de la Berlinale avant de sortir dans les salles françaises en 2018. Après quelques imbroglios (le film devait être montré dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs l’an passé avant de rencontrer des problèmes avec la censure), Art College 1994 est finalement visible… à la Berlinale, où le cinéaste fait son retour en compétition.

A l’univers brutal et rustre de Have a Nice Day succède un monde qui à première vue semble tout à fait différent : une école d’art. On y étudie la peinture ou la musique, on pense fort à son art, à ses secrets, et on se questionne énormément. Qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce qui caractérise une œuvre d’art ? Quel lien y a-t-il entre le temps qui passe et la valeur d’une œuvre ? Vous avez deux heures. Ces sujets passionnants qui pourraient faire l’objet de dissertations prennent une assez large place dans le film. Mais Art College 1994 est parfois rendu statique par sa dimension très bavarde. L’animation épurée, ce qui, on y reviendra, n’est pas un défaut, contribue d’abord à ce côté bloc manquant malheureusement de respiration.

La relative simplicité de l’animation n’empêche fort heureusement pas la beauté du trait – un élément tout à fait à propos dans cette histoire d’esthètes. On peut également noter un soin particulier apporté aux décors, et comme dans Have a Nice Day, Liu Jian se montre habile pour raconter visuellement ses univers nocturnes. Les jeunes gens montrés dans le film ne sont pas immédiatement intéressants, mais les années passent et ceux-ci comprennent qu’ils ne maîtrisent pas ce qui leur arrive. Voilà qui donne une amertume et une profondeur supplémentaires au long métrage et à ses protagonistes.

« Je pensais tout savoir, en fait je ne savais rien ». Cette réplique en dit long dans ce récit d’apprentissage où l’on peut bien apprendre ce que l’on veut : la vie, les règles, celles d’un contexte politique et culturel, sont autant d’obstacles sur des parcours que des jeunes inexpérimentés croient tout tracés. On rêve, on souhaite, on doute. On a la vanité de discuter, discuter encore, et de tout analyser. En quoi les personnages un peu bravaches sont-ils différents du monde ? Peut-être ne sont-ils, de manière assez émouvante, ni mieux mais ni moins bien que ce bonhomme de neige prêt à fondre.

Si, comme on l’a dit, Art College 1994 est assez différent de Have a Nice Day, il y a aussi une forme de violence comparable qui s’exerce dans le nouveau long métrage de Liu Jian. Celle, physique, des brutes (les règlements de compte à coups de briques ou de peinture vandalisée), mais aussi la violence d’un monde sur laquelle certains idéaux vont se heurter. Il y a une date et un lieu dans le titre, cela se passe à cet endroit, à cette époque. Mais les marqueurs temporels ne sont pas nécessairement des repères : la mort de Kurt Cobain est évoquée mais des affiches de l’album Bad de Michael Jackson sont encore sur les murs de la ville. La dimension de Art College 1994 (qui parle de Chine, dont certains personnages sont doublés par des cinéastes tels que Jia Zhang-Ke ou Bi Gan) se fait peu à peu plus universelle. Et puis il y a cette idée, la plus belle : la culture vue, envers et contre tout, comme un mode d’emploi de la vie et du monde.

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par Nicolas Bardot

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