Berlinale | Critique : Manodrome

Ralphie est jeune, en bonne santé, et sa compagne est enceinte. Pourtant, il y a quelque chose qui cloche chez lui. Son travail de chauffeur pour Uber n’est ni gratifiant, ni stable financièrement. La relation qu’il entretient à son propre corps est fragile. Lorsqu’il est intronisé dans une secte masculiniste, des tensions sous-jacentes refont surface.

Manodrome
Royaume-Uni, 2023
De John Trengove

Durée : 1h35

Sortie : –

Note :

TU SERAS VIRIL MON KID

Qu’est-ce que ça signifie, d’être un homme ? Cette question alors assez rare était posée dès le premier long métrage que le Sud-Africain John Trengove a réalisé il y a 6 ans, Les Initiés. Le film, tourné en Afrique du Sud, traitait d’homosexualité taboue, mais plus généralement de masculinité, de rôles à endosser, de violence infligée ou auto-infligée. Tourné aux Etats-Unis, avec des stars américaines, dans un tout autre contexte et avec une autre tonalité, Manodrome poursuit cette réflexion.

Le premier plan de Manodrome est celui d’un bébé qui tète et avec le recul, le choix d’une première image montrant un bambin qui chouine ne manque pas de sel. La masculinité, dans Manodrome, est effectivement particulièrement fragile. C’est une masculinité ostensible, celle des muscles sous stéroïdes et des signes extérieurs de richesse. Et c’est une masculinité qui se sent menacée, qui s’invente des menaces de toutes pièces. Diffuser de la dance plutôt que du métal à la salle de sports semble déjà être une étape insupportable de dévirilisation pour certains membres du club.

Cela pourrait être de simples détails pathétiques, ça l’est parfois, mais le film choisit d’aller plus loin dans sa description de communautés de garçons et de leur culte d’une masculinité toxique. « Il y a quelque chose d’involontairement queer dans ces communautés masculines » commente le cinéaste. De fait, le film va heureusement bien plus loin que le cliché volontiers homophobe consistant à voir la haines des homosexuels comme une expression d’une homosexualité refoulée. C’est une piste qui n’est pas mise de côté, mais elle s’ajoute à d’autres. Cette communauté de garçons hétéros emprunte en tout cas beaucoup, et sans s’en rendre compte, à un discours parfaitement gay : le besoin d’un safe space, le rôle d’un daddy, la volonté de « choisir sa famille », ou même des affirmations carrément camp à base de « stupéfiante beauté qui veille en soi ».

Trengove fait preuve d’un brillant sens du casting : Jesse Eisenberg est parfait dans ce rôle de wannabe mascu alors qu’on ne sait pas trop s’il transpire ou s’il pleure lorsqu’il fait de la muscu. Ralphie a beau froncer des sourcils comme un homme un vrai, au volant de son taxi il ressemble avant tout à Alanis Morissette dans le clip d’Ironic. Adrien Brody est lui aussi très bien pensé en maître de culte suave et séducteur. Autre qualité de cette distribution : ces physiques intéressants d’hommes qui véhiculent davantage une image intello ou sensible que de purs gaillards menaçants.

« Reprenez votre pouvoir en main » : c’est tout le vocabulaire masculiniste qu’on entend, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou de France, avec ce fantasme de garçons menacés, qui seraient peu à peu privés de quelque chose. Cela pourrait être juste une triste farce – ça l’est parfois, comme quand on suggère que le pire cauchemar d’un garçon-mascu serait d’avoir à charge un bébé en étant seul. Mais le film choisit de mettre en scène ce cauchemar comme un film d’horreur : il n’y a pas beaucoup de détails à changer dans le long métrage pour que cette histoire de secte paranoïaque soit un récit de culte diabolique dans les années 70.

Ce qui distingue Manodrome et qui l’inscrit dans son époque, c’est avant tout le point de vue de Trengove. Il n’est plus question ici de loser magnifique et encore moins de virilité triomphante comme on a pu en voir tellement dans l’Histoire entière du cinéma. Il n’est jamais question de romantiser la trajectoire de Ralphie. Son personnage est brisé, et le film embrasse sa complexité sans trémolos dans la voix. Au-delà de son cas, les masculinistes dans Manodrome ont autant de capacité à interagir avec le monde que des bébés, mais leur pouvoir peut être terrifiant. Ce gouffre fait l’objet d’un thriller haletant et tendu qu’on ne quitte pas des yeux de la première à la dernière minute.

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par Nicolas Bardot

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