Festival du Cinéma Allemand | Critique : Dans l’angle mort

Une enquête sur Martin, un documentariste allemand, Zafer, un agent secret turc, et Leyla, une traductrice kurde, qui ont tous disparu à Diyabakir, dans le sud-est de la Turquie.

Dans l’angle mort
Allemagne, 2023
De Ayşe Polat

Durée : 1h58

Sortie : –

Note :

SOUS TOUS LES ANGLES

Quel est cet angle mort, qui donne son titre original à cet étrange film ? C’est d’abord celui qui échappe au champ de la caméra : Simone, documentariste allemande, cherche à réaliser un reportage sur une femme kurde en faisant bien attention à utiliser le bon point de vue. Très sérieuse derrière ses lunettes fines, elle n’est pas du genre à choisir ses cadrages au hasard, mais peut-elle échapper complètement à la subjectivité de son propre regard ? La dame qu’elle rencontre a vu son fils se faire enlever il y a des années, mais ce qui intéresse Simone, c’est moins la situation politique que les rituels mystiques pour tenter de le faire rentrer à la maison.

Le fils de la famille peut-il réapparaitre tel un esprit ? Cette piste surnaturelle a beau être inattendue, elle vient très rapidement contaminer Dans l’angle mort : le pare-brise de Simone se fêle mystérieusement et une fillette inquiétante au regard perçant lui profère des paroles sibyllines. Les codes du film de genre s’accumulent dans ce décor improbable, le suspens gronde rapidement, Simone stresse et puis plouf, comme un tour de passe-passe, la réalisatrice germano-kurde Ayşe Polat fait changer son film de peau. Que vient-il de se passer sous nos yeux ? Dans quel angle mort sommes-nous tombés ?

Difficile d’en dire beaucoup plus sans gâcher l’intelligence du scénario qui change radicalement de point de vue et de registre, et ce à plusieurs reprises. Dans l’angle mort ne brouille pourtant pas les pistes pour le plaisir, comme un gimmick vain voué à juste nous mener en bateau. Le parcours du récit est plus étonnant car au lieu d’ouvrir la porte et faire rentrer le fantastique progressivement, il prend presque le chemin inverse, comme s’il se focalisait de plus en plus sur l’origine du problème. C’est parfois frustrant pour qui est davantage fasciné par les found footages que par les thrillers politiques, mais cela contribue néanmoins à rendre l’ensemble imprévisible et inclassable.

« Le traumatisme enferme les gens dans le passé, dès lors c’est comme si le présent n’existait plus pour eux ». L’angle mort, c’est aussi celui où survivent les populations kurdes, et celui de la non-résolution de leur traumatisme. A plusieurs reprises, les personnages de Dans l’angle mort sont observés par on ne sait qui ou quoi. Seuls dans une pièce, ils reçoivent des vidéos d’eux-mêmes sur leurs téléphones comme s’ils étaient espionnés par des fantômes ou un big brother totalitaire. Labyrinthe de registres qui mélange avec ambition différentes sources d’images (la réalisatrice parle même de film multimédia), Dans l’angle mort met en lumière différents aspects d’un traumatisme intergénérationnel.

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par Gregory Coutaut

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