Berlinale | Critique : Till the End of the Night

Robert est gay et ne ressemble pas au flic allemand moyen. En tant qu’enquêteur infiltré, il est chargé de gagner la confiance d’un criminel, Victor, en se faisant passer pour l’amant de Leni, une femme trans qui vient d’être libérée sur parole pour l’aider. 

Till the End of the Night
Allemagne, 2023
De Christoph Hochhäusler

Durée : 2h00

Sortie : –

Note :

QUAND TOUT EST MENSONGE

Si Christoph Hochhäusler ne fait pas techniquement partie du trio à l’origine de l’Ecole de Berlin auprès de Petzold, Schanelec et Arslan, ses premiers longs métrages ont compté parmi les films les plus excitants et plus exportés du genre (L’Imposteur et Sous toi la ville furent tous les deux présentés à Cannes, en 2005 et 2010). Cela faisait neuf ans qu’il n’avait plus réalisé, et pendant ce temps-là, les cinéastes qui furent reliés à ce mouvement cinématographique (parfois malgré eux) l’ont fait évolué de diverses manières. Si Angela Schanelec s’est radicalisée avec éclat, les autres ont le plus souvent cherché à mettre de l’eau dans leur vin en appliquant leur style radical à différents genres : la comédie pour Maren Ade, le fantastique chez Christian Petzold, et dans le cas d’Hochhäusler, le film noir.

A la fois romance contrariée et film policier aux archétypes twistés, Till the End of the Night s’inscrit en effet dans le virage plus accessible que le cinéaste avait entamé avec son dernier film, Les Amitiés invisibles. Au premier plan se trouve une trame classique de film noir : un flic blasé et blessé doit offrir une couverture à une femme fatale qui le méprise, sans se douter qu’il va en tomber amoureux. Au second plan, on retrouve les thématiques chères au réalisateur : la manipulation comme tentative de trouver sa place parmi les autres, les espaces extérieurs vécus comme des prisons, le mensonge comme moyen d’affirmation et de libération personnelle. Sans trop en dévoiler, l’ultime scène de Till the End of the Night offre à ce propos un clin d’œil saisissant à celle de L’Imposteur.

Si les personnages des précédents films d’Hochhäusler éprouvaient une difficulté presque métaphysique à interagir avec les autres, tout est ici plus concret. Presque trop : les fans de la première heure risquent de regretter la longue place laissée à une énième histoire de gang et de trafic de drogue quelque peu confuse, ou de s’interroger sur un traitement visuel plus terne qu’auparavant. Les bonnes surprises du film sont à trouver ailleurs, en arrière-plan. Le premier indice est à chercher dans les choix musicaux décalés qui habillent cet univers ultra-viril : des chansons d’amour désuètes qui viennent parler des relations entre hommes et femmes avec un anachronisme intrigant. Tout classique qu’ait l’air à première vue ce polar de gaillards , il est raconté à travers un filtre queer qui vaut le coup d’oeil.

La vrai réussite du long métrage, c’est son duo de protagoniste. Flic gay aussi beauf qu’un hétéro, Robert est un nouvel exemple de l’excitante tendance récente du cinéma queer à ne pas avoir peur de montrer des personnages homos négatifs (à mettre en parallèle des récents Passages et Rotting in the Sun). La témoin qu’il est supposé faire passer pour sa compagne sous une fausse identité est Leni, une femme trans incarnée avec charisme par l’actrice trans autrichienne Thea Ehre. Les deux sont forcé.e.s de jouer au couple hétéro alors qu’ils se détestent : ce point de départ de romcom n’est vraiment exploitée qu’un temps et c’est un peu dommage, mais la dynamique tordue de leurs rapports donne au film sa qualité principale : une sorte d’imprévisibilité sauvage. Le résultat est imparfait mais curieux.

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par Gregory Coutaut

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