Critique : 20 000 espèces d’abeilles

Cocó, huit ans, a bien du mal à savoir qui elle est. Au cours d’un été passé parmi les ruches du Pays Basque, elle éveille sa singularité au sein des femmes de sa famille, elles-mêmes en proie au doute. Dans un monde où il existe 20 000 espèces d’abeilles différentes, il existe forcément une identité qui corresponde à Cocó…

20 000 espèces d’abeilles
Espagne, 2023
De Estibaliz Urresola Solaguren

Durée : 2h05

Sortie : 14/02/2024

Note :

MA VRAIE NATURE

C’est l’été dans le pays basque espagnol, et la caméra sensible de la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren capte avec délice sa douce torpeur en filmant le confort des habitudes de vacances familiales. Les visites à une tante solitaire, les rituels pieux de grand-mère, mais surtout en arrière-plan la présence sonore de la nature, comme si les bruits du vent et de la pluie étaient plus prometteurs que ce que peuvent dire les adultes. Les habitudes estivales ne sont d’ailleurs pas entièrement respectées puisque cette fois-ci, la famille débarque chez mamie à l’improviste et papa est retenu ailleurs. Les questions inquisitrices ne se font pas attendre mais la caméra, rarement située à hauteur d’adulte, se concentre autre part.

Que les vieilles dames du village utilisent le masculin ou le féminin à son égard importe peu à Aitor, 8 ans. Ses beaux cheveux longs cachent mal son air renfrogné : Aitor ne veut plus qu’on l’appelle par son nom, et le surnom de Cocó ne convient pas davantage. Mais si il existe bel et bien 20 000 espèces d’abeilles différentes, alors il existe forcément quelque part une identité qui lui convienne mieux.

Dans 20 000 espèces d’abeilles, les enfants posent beaucoup de questions mais les adultes ont du répondant, et ce sans condescendance. Les enfants ne sont pas pris pour des idiots et nous non plus : Estibaliz Urresola Solaguren fait en effet preuve d’une grande acuité dans sa manière de filmer ce qu’on pourrait appeler un peu lourdement l’éclosion de son personnage principal. La réalisatrice donne quelques métaphores en guise de pistes de lecture (les abeilles bien sûr, mais aussi une discussion sur les sirènes), néanmoins elle fait preuve de beaucoup d’adresse en évitant de les surligner à outrance. 20 000 espèces d’abeilles est un drame dont le réalisme n’empêche pas la poésie.

Un glissement progressif fait d’ailleurs que le récit et la caméra se détache d’Aitor/Cocó pour se concentrer davantage sur les adultes. En changeant ainsi le point de vue, le film sous entend que le problème ne se trouve bien sûr pas dans la tête de l’enfant mais dans celles des grands, dans leur panique morale ou leur amour maladroit, dans leur croyance têtue qu’ils ont qu’un enfant ne peut pas avoir une telle expérience du genre. Dans ce village sans hommes ou presque, où le quotidien est fait de traditions et superstitions, Aitor/Cocó « ne fait qu’écouter ». 20 000 espèces d’abeilles est un puissant portrait qui a lui aussi la grande intelligence d’écouter plutôt que de parler à la place des enfants trans.

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par Gregory Coutaut

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