Festival Black Movie | Critique : Samsara

Laos. Des dizaines d’adolescents vivent et étudient ensemble dans des temples bouddhistes. Un jeune homme traverse la rivière tous les jours pour lire un texte à une femme âgée. Elle lui sert de guide pour trouver son chemin dans l’au-delà. 

Samsara
Espagne, 2023
De Lois Patiño

Durée : 1h53

Sortie : –

Note :

VOYAGE, VOYAGE

On a pu découvrir Loïs Patiño (lire notre entretien), l’un des nombreux jeunes talents qui ont émergé en Espagne ces dernières années, avec son film Red Moon Tide, sélectionné au Forum de la Berlinale en 2020. Dans ce film, un village de la côte galicienne ressemblait à un lieu de rendez-vous des fantômes, c’était un trip hypnotique où les dimensions, le réel et le surnaturel, se confondent. Bien qu’assez différent, son nouveau film Samsara, en compétition à Encounters, poursuit un geste similaire. Samsara suit les derniers jours d’une femme âgée, au Laos. Un jeune homme lui lit le Bardo Thödol, le livre des morts, pour l’accompagner dans l’au-delà. « Là où je vais, je ne veux pas me perdre », dit-elle.

Dans Samsara, les rêves sont figurés à l’image par des superpositions. Lorsque la femme raconte qu’elle était une étoile de mer dans son dernier songe, cela semble aussi concret que sa vie éveillée : ces réalités cohabitent. Les cerfs sont dorés, les serpents ont deux têtes, les arbres ont un esprit, on dit adieu à la table ou au miroir qui ont servi toute une vie. Patiño filme un rapport aux êtres et aux choses qui ne connaît pas les cloisons d’une culture plus occidentale. Ici tout semble plus poreux.

On retrouve la quiétude enveloppante – et fort à propos – des superbes courts métrages du cinéaste, Sycorax (un film des bois présenté à la Quinzaine en 2021) et El Sembrador de estrellas (un film dans les étoiles présenté à la Berlinale en 2022). Le grain, le travail sur les couleurs (l’orange chaleureux, le bleu laiteux), tout esthétiquement participe à un sentiment d’accueillante immersion. Le cinéaste évite heureusement l’exotisme et cite d’ailleurs davantage le sentiment océanique de Freud, ce sentiment d’unité avec l’univers, parmi ses influences.

Les rituels et les prières occupent une place centrale dans Samsara. D’ailleurs il y a littéralement un manuel pour mourir, et même le lit de mort semble être particulièrement douillet. Puis survient une idée de génie, absolument magique, qui nous fait entrer nous, public, encore plus profondément dans la narration. Samsara devient alors une expérience sensorielle qui, si l’on joue le jeu, tient du jamais vu. « Le monde s’ouvre à celles et ceux qui s’ouvrent à lui », dit-on. Là encore, les réalités (celles du film, les nôtres) se superposent en un flux ensorceleur. Dans l’une des scènes du film, un protagoniste qui pense s’être éclipsé une heure aurait en fait disparu pendant une semaine. Loïs Patiño travaille une perte de repères similaire dans la séquence-clef dont nous parlons. On ne vous en révèlera pas plus, mais on peut dire qu’on n’a jamais vu cela au cinéma.

Lors d’une scène en Tanzanie, des femmes évoquent leurs moyens de survie. C’est le quotidien, pas une esthétisation. Samsara n’est pas détaché des réalités, il se décentre tout simplement. C’est un recul poétique, une perspective spirituelle. Ce précieux voyage, quelque part entre Answering the Sun de Rainer Kohlberger et Le Quattro volte de Michelangelo Frammartino, explore comme peu d’autres ce qu’on peut voir même les yeux fermés.

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par Nicolas Bardot

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