Critique : Passages

L’histoire de deux hommes qui sont ensemble depuis quinze ans et ce qui se passe quand l’un d’eux a une liaison avec une femme.

Passages
France, 2023
D’Ira Sachs

Durée : 1h31

Sortie : 28/06/2023

Note :

L’IMPASSE

Dans la première scène de Passages, un cinéaste (incarné par FranzRogowski) tourne une scène apparemment anodine. L’artiste est exigeant, veille à ce que les accessoires soient correctement utilisés, que son acteur descende un escalier de manière naturelle. L’intransigeance laisse rapidement place à la colère, un caractère odieux et un goût pour l’humiliation. C’est un basculement en quelques plans, traduit à merveille par Rogowski dont le jeu est toujours imprévisible et à fleur de peau. Ira Sachs installe son protagoniste en quelques secondes, aidé en cela par ce que dégage son acteur, l’imaginaire qu’il charrie. Voilà le succès de ces très ingénieux choix de casting : on connaît assez vite les personnages grâce à leur fine écriture certes, mais aussi par ce que leurs interprètes (Rogowski donc, mais également Ben Whishaw et Adèle Exarchopoulos) nous inspirent.

Tomas et Martin forment un couple étrange (love is strange, nous prévenait Sachs dans un précédent long métrage) mais aussi tout à fait commun, où chaque discussion semble propice aux disputes. Les derniers films du cinéaste, ces dix dernières années, se distinguaient par leur ton doux-amer ; nous parlions même, au sujet de son récent Frankie, de film-câlin. Passages en est un peu l’antidote : des claques plutôt qu’un câlin. La violence n’est pourtant pas si évidente dans Passages, elle n’est pas physique, elle s’immisce insidieusement, c’est une violence psychologique qui jaillit en une phrase ou un geste. Une scène de sexe, filmée de manière très crédible (Sachs cite le formidable Taxi Zum Klo de l’Allemand Frank Ripploh parmi ses références), dégage aussi à ce moment du film une forme de violence – une violence qui toujours au fil de Passages s’invite dans un décor ouaté.

Le faux triangle amoureux de Passages (où un seul protagoniste trouve son compte) déplace très clairement le curseur du doux-amer vers l’amertume. Parmi ses modèles, Sachs cite Pialat : pas le dernier pour composer des personnages antipathiques. Tomas est effectivement un être assez horrible et un fascinant personnage de cinéma. Le réalisateur américain fait preuve de moins d’auto-complaisance que son homologue français et ne romantise pas la dimension toxique de son héros. Tomas est d’un égoïsme pathologique, dans le couple qu’il forme avec Martin comme avec celui qu’il tente de former avec Agathe. C’est un maître des marionnettes, sur un plateau de tournage comme dans sa vie personnelle. C’est aussi un homme d’une totale immaturité émotionnelle, incapable d’interagir avec les autres. La qualité du découpage, de l’écriture et du jeu tranchants donne un rythme effréné à Passages, qui n’est pourtant jamais rien d’autre que des discussions en intérieur.

Cette cruauté brutale permet d’explorer en profondeur les personnages et les dynamiques qui les relient. Si, dans d’autres films, Ira Sachs questionne ce qui constitue une famille et s’interroge sur la transmission, Passages décrit avec une aspérité captivante l’impossibilité d’être ensemble et de former une famille. Cela a la forme d’une étrange fable pathétique qui ne prend pourtant jamais ses personnages de haut. Comme ses spectateurs, d’ailleurs : Ira Sachs, à l’opposé de certains discours infantiles sur la nécessité de représentation positive, n’a pas peur d’avoir un protagoniste queer franchement négatif, sans en arrondir les angles. Et il faut une sacré dose de talent pour réussir un film qui ne cherche jamais vraiment à plaire.

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par Nicolas Bardot

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