Critique : Remembering Every Night

Remembering Every Night raconte la vie quotidienne de quelques femmes : cela peut être une visite au bureau, un entrainement de danse ou faire de la musique avec des amies…

Remembering Every Night
Japon, 2022
De Yui Kiyohara

Durée : 1h56

Sortie : –

Note :

C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS

On avait pu repérer le talent très prometteur de la Japonaise Yui Kiyohara il y a quelques années avec son premier film, Our House. La cinéaste confirme avec son nouveau long métrage, intitulé Remembering Every Night, présenté au Forum de la Berlinale. C’est un film tout doux, qui débute de la plus douce des manières : Kiyohara dépeint une ville au petit matin, les routes sont silencieuses et à peine empruntées, on distingue à peine un train qui avance encore lentement. Remembering Every Night se déroule en banlieue de Tokyo, dans un large ensemble d’habitations conçu au début des années 70 et où la cinéaste a grandi. Il y a quelque chose de facilement familier et pourtant d’un peu inconnu dans ce lieu qui ne ressemble pas beaucoup à ce qu’on peut voir habituellement dans le cinéma japonais.

On pense d’ailleurs à une référence plus exotique : ce quartier vu comme un terrain de jeu évoque la ville nouvelle de Cergy-Pontoise telle qu’Eric Rohmer la filmait dans L’Ami de mon amie. Les héroïnes de Remembering s’y croisent, c’est la quiétude d’un jour d’été à l’ombre des arbres, peut-être même à l’heure de la sieste. Un pano paisible dévoile le décor, le vert tendre des bois, dans un silence enveloppant. Qu’est-ce que cette extrême lenteur parvient à produire ? Le film n’est pas qu’une miniature mignonne, il est beaucoup plus ambitieux que ça. Et plus étrange : il y a dans Remembering Every Night un côté lunaire, goofy, on assiste parfois à une comédie burlesque mais au ralenti, la légèreté finit par être singulière, lo-fi. Alors qu’on devine que le monde ne les ménage pas (l’héroïne la plus âgée se voit proposer un emploi sorti d’un chapeau, le jour de son anniversaire), ces femmes ont décidé d’adopter leur propre rythme.

Avec leurs vêtements en dégradés de vert, elles pourraient se fondre au cœur de la nature environnante. Si le quartier filmé par Kiyohara est complètement anonyme, le film interroge pourtant ce que signifie faire communauté. Il y a beaucoup de place laissée à l’invisible, au bruits discrets, au vent, et à ce qui peut relier les personnages : un regard au loin, une danse. Des protagonistes s’interrogent à un moment du long métrage au sujet de statuettes vieilles de 4500 ans, remontant à l’ère Jōmon. Que peuvent-elles bien représenter lorsqu’on ne se souvient pas du repas de la veille ? Pourtant, ce sont ces toutes petites choses qui restent d’hier. Qui alors se souviendra de nous dans 4500 ans ? Les héroïnes de Remembering ont le sentiment de vivre des petites vies, dans l’ombre, et pourtant elles sont vues, elles se remarquent mutuellement, elles existent les unes pour les autres.

C’est d’une délicatesse poignante, et le public, lors d’une scène magnifique, est invité dans cette intimité : deux jeunes filles allument des feux d’artifice et se tournent vers la caméra. « Vous nous rejoignez ? », lancent-elles à une autre femme, comme si elles s’adressaient également aux spectatrices et spectateurs. Il y a dans la vie de multiples minuscules souvenirs à conserver, comme des images d’anniversaires à numériser (là encore, une séquence magnifique). Le monde est-il plus profond que ce que l’on peut percevoir à l’œil nu ? On suggère dans Remembering la possibilité d’univers alternatifs – une idée déjà explorée dans Our House où la maison était soit hantée, soit partagée par deux femmes vivant dans des dimensions parallèles. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a à l’oeuvre une magie silencieuse. Un monde secret dont la poésie évoque celle d’un Bas Devos, sélectionné lui aussi cette année à la Berlinale avec le superbe Here.

On entend une petite musique bricolée. La lumière bleutée est déclinante. Les feux d’artifice partiront en fumée. La nuit tombe, c’était une journée comme les autres. Mais sous le regard précieux de Yui Kiyohara, le banal quotidien est aussi chaleureux qu’enchanté.

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par Nicolas Bardot

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