Festival de Rotterdam 2021 : notre bilan

Vous avez pu suivre en direct le Festival de Rotterdam en ce début d’année 2021, et cette édition a été particulièrement riche. Alors que le second volet du festival, cette fois en présentiel, débute ce 2 juin (avec des films supplémentaires), retour sur les temps forts et les tendances de cette année dans notre bilan complet…


L’excellente édition 2021 du Festival de Rotterdam s’est achevée ce dimanche soir, avec le couronnement de l’enthousiasmante découverte indienne Pebbles. Nous connaissions et apprécions déjà les qualités spécifiques du festival néerlandais, à savoir la très large place laissée aux jeunes cinéastes, aux expressions les plus innovantes et aux œuvres hors-formats. Ce cru 2021 fut la toute première pour la nouvelle directrice artiste, Vanja Kaludjercic. Forte d’une expérience déjà impressionnante (directrice des acquisitions chez Mubi, et passée par les festivals de Sarajevo, CPH:DOX, Cinéma du réel, Les Arcs, entre autres…), Kaludjercic a confirmé cet axe tourné vers la découverte, en y apportant un point de vue fort. En resserrant le nombre d’œuvres retenues, elle n’a pas seulement apporté une clarté bienvenue à l’ancienne arborescence des multiples sections du festival, elle a curaté une sélection d’un éclectisme et d’une qualité plus que remarquables : rares.

Si l’élaboration d’une sélection de festival traduit une vision du monde, c’est un monde se jouant des frontières que Vanja Kaludjercic a reflété. Frontières géographiques d’abord : sans hiérarchie, sa sélection a amené notre regard vers des filmographies peu représentées en festivals, tels le Costa Rica, la République Dominicaine ou le Kosovo (primé avec Looking for Venera). Parmi ce nouvel atlas contemporain, citons les succès répétés du Brésil et son fantastique tendre (Madalena, Carro Rei), l’ambition des écritures thaïlandaises (The Edge of Daybreak, ainsi que le court Lemongrass Girl, scénarisé par Anocha Suwichakornpong), et – sans chauvinisme – la France. Le doc Les Sorcières de l’orient, la fiction primée I Comete ainsi que le court en split-screen 80 000 ans ont fait preuve d’une écriture personnelle, étonnante et émouvante.

Autre frontière balayée : celle des genres cinématographiques. Le documentaire s’est faufilé dans la fiction, l’animation dans le documentaire, le fantastique dans la comédie, le merveilleux dans le politique, jusqu’à ce que les formes narratives en deviennent d’une jubilatoire imprévisibilité. Sur quel pied danser face aux formidables et inclassables Bipolar, Friends and Strangers ou Destello bravìo ? Ne pas avoir de réponse était un régal durant toute cette semaine. Atteignant peut-être son point d’orgue dans l’hypnotisant court earthearthearth, ce goût contagieux de la surprise nous a électrisés. Cette grande liberté des approches artistiques n’est pas un hasard. Voilà ce qui arrive quand une séléction est presque exclusivement composée de premières œuvres et de jeunes cinéastes. Romcom, sexploitation ou comédie pulp, certains films montrés ne correspondaient pas à ce qu’on croit devoir attendre d’un festival de cinéma d’auteur. Tant mieux. Le cinéma d’auteur n’est pas un genre en soi, mais bien un point de vue qui peut se retrouver dans tous les registres.

Pour sa première édition, c’est à la grande Kelly Reichardt que Vanja Kaludjercic a choisi de rendre hommage (une décision commune avec Charlotte Serrand à La Roche-sur-Yon) en lui décernant le prix Robby Müller. Autour d’elle, une proportion remarquable de réalisatrices. Cette année à Rotterdam, un cinéaste sélectionné sur trois était une femme et pour une fois il a fallu attendre plusieurs jours avant de voir des films centrés sur des protagonistes masculins (qui étaient d’ailleurs moins des héros habituels que des garçons sensibles). Notons au passage que les films queer sélectionnés ont su mêler réflexion politique contemporaine et partis pris stylistiques audacieux : Feast, Madalena et le court portugais virtuel et musical Tracing Utopia, auquel on peut ajouter le chatoyant catalogue de drag kings de As We Like It.

Dès le début du festival avec l’incroyable Gritt, on a souvent eu le sentiment de croiser au fil de cette sélection des protagonistes à la recherche de leur vraie place. On a vu davantage de personnages plein de doutes que de cinéastes imposant leur savoir-faire prévisible, et c’est déjà une sacrée bouffée d’air frais. Les films de Rotterdam ont pris des risques, leurs protagonistes également, nous donnant envie d’en prendre à notre tour. Ils nous ont emmenés vers des terres inconnues, des territoires cinématographiques passionnants, au-dessus des frontières, se jouant même de la plus grande des frontières: celle de la mort (Liborio, Bipolar, Agate Mousse, Bebia, à mon seul désir). On a eu l’impression d’assister aux premiers pas de cinéastes et de personnages que rien ne va pouvoir arrêter. Vivement la suite.


NOS CRITIQUES

Tiger Competition
Agate mousse, Selim Mourad (Liban)
Bebia, à mon seul désir, Juja Dobrachkous (Géorgie)
Bipolar, Queena Li (Chine)
Black Medusa, ismaël & Youssef Chebbi (Tunisie)
I Comete, Pascal Tagnati (France)
The Edge of Daybreak, Taiki Sakpisit (Thaïlande)
Feast, Tim Leyendekker (Pays-Bas)
Friends and Strangers, James Vaughan (Australie)
Gritt, Itonje Søimer Guttormsen (Norvège)
Landscapes of Resistance, Marta Popivoda (Serbie)
Liborio, Nino Martínez Sosa (République Dominicaine)
Looking for Venera, Norika Sefa (Kosovo)
Madalena, Madiano Marcheti (Brésil)
Mayday, Karen Cinorre (Etats-Unis)
Mighty Flash (Destello bravío), Ainhoa Rodríguez (Espagne)
Pebbles, Vinothraj P.S. (Inde)

Compétition Big Screen
Archipel, Félix Dufour-Laperrière (Canada)
Aristocrats, Sode Yukiko (Japon) (bientôt en ligne)
As We Like It, Chen Hung-i & Muni Wei (Taiwan)
Aurora, Paz Fábrega (Costa Rica)
Carro Rei, Renata Pinheiro (Brésil)
The North Wind, Renata Litvinova (Russie)
El perro que no calla, Ana Katz (Argentine)
Sexual Drive, Yoshida Kota (Japon)
Les Sorcières de l’Orient, Julien Faraut (France)

Section Limelight
Au commencement, Dea Kulumbegashvili (Géorgie)
Chers camarades !, Andrei Konchalovsky (Russie)
First Cow, Kelly Reichardt (Etats-Unis)
Mandibules, Quentin Dupieux (France)
Quo vadis, Aida ?, Jasmila Žbanić (Bosnie-Herzégovine)


NOS INTERVIEWS

« Les femmes et les filles sont trop souvent réduites à des clichés sinistres. Je préfère les dépeindre comme les forces de la nature qu’elles sont » : notre entretien avec Karen Cinorre, réalisatrice de Mayday

« L’envie première a été de faire un film sur une anti-héroïne, ou même une anti-super-héroïne, libre et marginale » : notre entretien avec ismaël, co-réalisateur de Black Medusa

« Lars Von Trier est mon héros absolu : une fois, j’ai quitté la Norvège à pied pour marcher jusqu’à chez lui au Danemark et lui demander d’être mon mentor » : notre entretien avec Itonje Søimer Guttormsen, réalisatrice de Gritt

« Le village l’été est un condensé de la société corse » : notre entretien avec Pascal Tagnati, réalisateur de I Comete

« J’ai toujours été étrangement attirée par certains objets inanimés » : notre entretien avec Renata Pinheiro, réalisatrice de Carro Rei

« Le regard féminin est souvent dépeint d’un point de vue masculin », notre entretien avec Norika Sefa, réalisatrice de Looking for Venera

« J’ai tenté de capturer la présence de l’absence » : notre entretien avec Taiki Sakpisit, réalisateur de The Edge of Daybreak

« Penser l’organisation de la cité, remettre en question sa structure, c’est le premier pas vers une réflexion sur les disparités entre classes sociales » : notre entretien avec Yukiko Sode, réalisatrice de Aristocrats

« J’ai voulu interroger la manière dont on débat du bien et du mal. Je voulais créer une œuvre qui s’attache à ces deux notions particulièrement lourdes de sens, mais aussi à tout ce qui se situe entre » : notre entretien avec Tim Leyendekker, réalisateur de Feast

« Aujourd’hui, l’antifascisme est redevenu aussi nécessaire qu’il l’était dans les années 1930 et 1940 » : notre entretien avec Marta Popivoda, réalisatrice de Landscapes of Resistance

« Je trouve ça profondément humain de ne rien ressentir » : notre entretien avec James Vaughan, réalisateur de Friends and Strangers

« Ces choix visaient à aller à l’encontre des stéréotypes de représentation des personnages trans » : notre entretien avec Madiano Marcheti, réalisateur de Madalena

« Revisiter et de filmer en m’inspirant de films qui ont été interdits, mal compris ou censurés dans le passé » : notre entretien avec Su Hui-Yu, réalisateur de The Women’s Revenge

« L’étrangeté est née du moment où j’ai mis les pieds dans cette ville et que j’y ai apposé mon regard agnostique » : notre entretien avec Ainhoa Rodriguez, réalisatrice de Destello Bravío 

« Nous voulions exprimer la richesse mythologique de la spiritualité dominicaine » : notre entretien avec Nino Martínez Sosa, réalisateur de Liborio


NOS NEWS

Le palmarès du festival
Le palmarès de la rédaction
La page du festival

Gregory Coutaut

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