Critique : Au commencement

Yana vit une existence rangée dans une petite ville de province géorgienne orthodoxe, au sein d’une communauté de Témoins de Jéhovah. Quand le lieu de culte où son mari officie est incendié par des extrémistes, un mystérieux enquêteur s’empare de l’affaire. Le monde de Yana bascule alors.

Au commencement
Géorgie, 2020
De Dea Kulumbegashvili

Durée : 2h10

Sortie : 01/12/2021

Note :

DEMAIN TOUT S’ACHÈVE

Un église est en flammes au creux de la montagne dans Au commencement et ce plan saisissant suffirait à évoquer le spectre mystique de Tarkovski. Cela pourrait être écrasant mais la Géorgienne Dea Kulumbegashvili n’a absolument pas froid au yeux dans ce premier long métrage ambitieux et culotté. Au commencement débute de manière tout à fait réglée avec son héroïne Yana (extraordinaire Ia Sukhitashvili dont le visage semble changer en cours de film) qui règne en maîtresse sur les lieux, salue chacun des fidèles entrant dans l’église et met au coin les garçons qui n’ont pas été sages. Le cadre a beau rester fixe et net, ce qui s’y déroule tient du pur chaos.

La mise en scène de Kulumbegashvili a un aspect très rigide : cette succession de cadres fixes, mais aussi cette manière de construire l’attente et de diriger le regard. Pourtant, l’action comme les sens ne sont ni figés ni cadenassés dans Au commencement. La réalisatrice utilise de manière remarquable la profondeur de champ, avec une étonnante variation de l’échelle des plans, scrutant ce qu’il y a au loin tandis que parfois de très gros plans surgissent comme des cassures, une étrange proximité. Ce riche vocabulaire formel, malgré l’apparence corsetée de l’ensemble, donne sa vibration au long métrage.

On enseigne avec patience des préceptes religieux aux enfants qui les ânonnent péniblement dans Au commencement. Comment ceux-ci sont-ils appliqués dans la société et le monde des adultes ? Le début du film, l’histoire personnelle de Yana et le sacrifice fait pour sa famille ou encore sa relation avec un mari odieux apportent une réponse assez claire. Au commencement traite du combo religion et patriarcat dans lequel une femme n’a guère de place, à part celle qu’on lui ordonne de tenir. Ce portrait est puissant, mais le plus fascinant dans le film n’est pas forcément ce qui est le plus lisible.

Lors d’un plan central du long métrage (littéralement : on a le sentiment qu’on peut plier Au commencement en deux avec cette image au centre), Yana s’allonge dans la forêt. On n’en dira pas beaucoup plus sur cette image, si ce n’est qu’elle offre l’un des moments de cinéma les plus bluffants de ces derniers temps. Il faut un sacré pouvoir pour accomplir cela : déshabiller l’action jusqu’au minimum (un plan fixe, muet, sur une héroïne immobile) tandis que de cette épure naît une bouleversante intensité émotionnelle. Une caméra sur un chignon dans Au commencement parvient à dire plus que cent gros plans sur un visage. Yana épluche ses kiwis comme Jeanne Dielman épluche ses pommes de terre et le silence filmé saisit toute l’intériorité du personnage. Toute ? Le film dépeint-il une perte de foi – religieuse, ou en général ? Une perte de la raison ? A l’image de ses derniers instants purement envoûtants, Au commencement n’est jamais meilleur que quand il est insondable.

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par Nicolas Bardot

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