Entretien avec Ivan Ostrochovský

C’était l’une des nombreuses pépites de la nouvelle section Encounters lors de la Berlinale 2020. Les Séminaristes est un film visuellement stupéfiant dont les héros sont des séminaristes dans la Tchécoslovaquie des années 80. Ils devront faire un choix au sein l’église muselée par le régime communiste. Ce film mystérieux sort le 2 juin en salles. Rencontre avec son réalisateur, le Slovaque Ivan Ostrochovský.


Quel a été le point de départ des Séminaristes ?

Avec mon co-scénariste Marek Leščák, nous souhaitions depuis longtemps faire un film se déroulant à l’époque communiste. Nous avions tous les deux 16 ans lorsque le régime s’est effondré. Il y a eu plusieurs films produits en Europe de l’Est qui ont réfléchi à cette période de l’histoire, mais nous voulions trouver une nouvelle histoire, de nouveaux personnages et une nouvelle approche qui dépeindraient cette époque un peu différemment.

Nous voulions raconter l’histoire à travers des personnages qui nous ressemblent un peu. Même s’ils font quelque chose de répréhensible, on peut comprendre pourquoi ils ont renoncé face à la peur, à la frustration, ou aux arguments rationnels – comme s’ils s’étaient dit qu’il n’y avait pas d’autre moyen … Je voulais que le public comprenne à quel point il est facile de se retrouver du mauvais côté de l’histoire.

C‘était inutile de décrire comment un idiot avide et sans scrupules peut choisir cette voie. J’étais plutôt intéressé à l’idée de comprendre pourquoi beaucoup de gens intelligents et sensibles choisissent l’option de collaborer avec le régime.

Nous avons commencé à examiner ce qui se passait à la faculté de théologie et nous avons découvert que dans les années 80, un grand groupe d’étudiants a entamé une grève de la faim pour montrer son désaccord vis-à-vis des prêtres collaborant avec le régime. A cette époque, il s’agissait d’un acte plutôt courageux, en tenant compte du fait que personne ne savait que le régime communiste allait s’effondrer dans les années à venir. Techniquement, pour ces étudiants, cela signifiait qu’ils seraient soumis aux conséquences de leur acte pour le reste de leur vie. Je ne connais pas un acte aussi courageux qui se soit déroulé dans une autre université ou collège en Tchécoslovaquie au début des années 80.

Nous avons utilisé plusieurs événements réels de l’ère de « normalisation » comme source d’inspiration pour le film – que ce soit la grève de la faim que je vous ai mentionnée, ou la mort du prêtre secrètement ordonné Přemysl Coufal. Nous n’étions pas intéressés par une reconstitution de ces événements – nous les avons utilisés librement pour saisir cette période de l’histoire et les problèmes liés à la liberté de religion.

L’atmosphère visuelle de votre long métrage est surprenante et assez imprévisible. Il y a immédiatement un sentiment d’étrangeté, et comme une tension horrifique tout au long du film. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le traitement visuel de cette histoire ?

Le film se compose d’éléments de films de genre, du thriller jusqu’à parfois l’horreur. Nous ne les avons pas utilisé en premier lieu pour rendre le film plus attrayant. Le genre de l’horreur contient cette idée selon laquelle nous sommes contrôlés par des pouvoirs qui sont hors de notre portée. Le régime totalitaire contrôle ses citoyens exactement de la même manière : une puissance inconnue vous pousse inévitablement au bord de la falaise. C’est le sentiment que j’ai eu quand j’ai appris ce qui se passait à la faculté de théologie.

C’est pourquoi nous avons essayé d’intégrer le sentiment d’irrationalité dans la photographie, et une sorte d’anxiété psychologique et de peur dans les personnages principaux. Comme quand quelque chose vient vers vous, et que vous êtes comme pétrifié. Une rigidité à la Bresson a été appliquée aux individus et leur comportement exprime le même type de paralysie dont a souffert la plupart des personnes vivant sous un régime totalitaire. Un nœud impossible à démêler : la peur crée la paralysie mais la paralysie crée la peur.

J’ai eu le sentiment, pendant Les Séminaristes, que beaucoup de scènes étaient volontairement trop courtes, comme s’il manquait un élément de contexte ou une explication. Cela crée un puissant climat de mystère. Est-ce un effet que vous recherchiez ? Comment avez-vous travaillé sur cela lors de l’écriture et du montage ?

Vous avez pratiquement répondu à la question. Le fait de ne pas donner d’explications évidentes au public donne l’impression que les informations importantes s’éloignent. Cela crée de la nervosité et de la tension. En écrivant le scénario et en montant le film, nous étions bien sûr conscients des risques que ce type de narration comporte. Le spectateur aurait pu se perdre et rejeter le film. Ce fut un long processus pour trouver le bon équilibre entre ce qui sera dit et ce qui ne le sera pas.

Ce principe elliptique se reflète aussi dans la vie contemporaine : nous ne savons pas ce qui va se passer demain. Aujourd’hui, nous savons comment la fin du communisme s’est produite en Europe de l’Est. En 1980, les étudiants de la faculté de théologie ne le savaient pas. Leur vie a été influencée par le fait qu’ils ne voyaient pas l’avenir, le tableau d’ensemble, leurs hypothèses, leurs fantasmes. Nous voulions capturer cela dans le film.

Quels sont vos réalisateurs favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Les réalisateurs tchécoslovaques Ivan Passer et Štefan Uher mais aussi Martin Scorsese, Alfonso Cuaron…

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?

Eh bien probablement en voyant Roma de Cuaron.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 30 mai 2020. Un grand merci à Katarina Tomkova.

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