A voir en ligne | Critique : Destello bravío

Isa, Cita et d’autres femmes tentent d’échapper à leur existence de plus en plus morose. Un groupe de dames déjeunent et se lancent dans des commérages. La vieille María pleure son défunt mari, Paco. Parfois, quelqu’un entend un son qui échappe à tout le monde. Les convoitises féminines s’intensifient, qu’elles soient stimulées ou non par quelques douceurs maison. Tout semble différent la nuit et dans les premières heures du matin…

Destello Bravío
Espagne, 2021
De Ainhoa Rodríguez

Durée : 1h40

Sortie : 14/09/2022 (sur Mubi)

Note :

OH OUI SI JE POUVAIS EFFACER LE PASSÉ

Qu’advient-il à un village qui vit ses derniers jours, quand il se dépeuple et que sa maigre population vieillit au point de ne plus avoir d’horizon ? La réponse pourrait donner lieu à plus d’un documentaire réaliste (on pourrait penser au récent Inland Sea du Japonais Kazuhiro Soda), mais la réponse qu’apporte l’audacieuse cinéaste espagnole Ainhoa Rodríguez (lire notre entretien) prend le chemin inverse, celui de la métaphore fantastique. Plutôt que de tomber dans l’oubli, ce village banal et silencieux, perdu dans la campagne ibère, donne en effet l’impression d’être sur le point de tomber dans le cosmos.

Dans ce village qui n’a même pas de nom, baigné d’une étrange et superbe lumière d’éclipse qui rend tout mauve, seules les cérémonies de la Semaine sainte semblent apporter un peu de vie dans des rues où pas un chat ne traine. Derrière les fenêtres, la vie s’écoule pourtant dans une certaine loufoquerie. Tandis qu’ailleurs on s’occupe des quelques chèvres, des veuves emperlées se réunissent dans des intérieurs au luxe d’un autre âge pour se plaindre de leur dures vies tout en débattant avec gravité de l’heure adéquate pour manger des churros. La trivialité quotidienne, le commérage et les ragots prennent toute la place chez ces femmes et ces hommes tous tournés vers le passé, enclins au problèmes de mémoires ou aux tourments des souvenirs. Leur unique avenir ? Ils se le racontent avec une impatience goulue : une grande lumière est sur le point de venir éblouir le village au point de le rayer de la carte et d’emporter tout le monde dans une bienfaisante amnésie.

Qu’elle mette en scène la simple absurdité des rituels ou le gigantisme surnaturel de cette fin du monde, Ainhoa Rodríguez parvient à donner à chaque scène une étrangeté magnétique. Centrée sur cette drôle d’attente venue du ciel, Destello Bravio est un film qui est sans cesse « au bord » de quelque chose d’immense, plutôt qu’en plein dedans. Un film qui privilégie une séduisante suggestion. C’est parfois une frustration mais c’est surtout une force, car la brièveté et l’humour y apportent leur propre respiration. Le résultat est un drôle de crépuscule de poche, à la singularité entêtante.

>> Destello Bravio est disponible sur Mubi

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par Gregory Coutaut

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