Festival de Rotterdam | Critique : Gritt

Gritt a de grandes idées. Productrice pour le théâtre, elle rêve de monter sur scène une ambitieuse satire sociale sur la Norvège et peut-être même l’occident en général, intitulée « L’inflammation blanche ». Le problème c’est qu’elle n’arrive jamais à trouver les mots exacts pour décrire son projet et qu’à force, plus personne n’a la patience d’écouter ses tergiversations. Le parcours de Gritt devient de plus en plus confus à mesure qu’on lui claque les portes au nez.

Gritt
Norvège, 2021
De Itonje Søimer Guttormsen

Durée : 1h59

Sortie : –

Note :

SORTIE DE SECOURS

Adolescente, Gritt a quitté la Norvège dans le but de devenir actrice aux États-Unis. Lorsqu’on la découvre au début du film, plusieurs années de galère sont passées et sa place est devenue particulièrement incertaine puisqu’elle se retrouve à travailler comme assistante d’une personne qui n’a précisément pas besoin d’elle. Entourée de discussions pointues sur l’art, coincée entre idées abstraites (qu’est-ce que l’abject?) et chorégraphies quotidiennes (nourrir un chat, trimballer une valise), Gritt s’agite nerveusement en cherchant sa place.

Ce genre d’artiste angoissé et gesticulant, le cinéma américain indépendant nous habitue à les voir par le prisme de la comédie. De fait, on imagine bien dans un premier temps Gritt croiser les univers de Josephine Decker ou Miranda July, mais le voile comique s’envole ici rapidement. Si celui-ci est bien présent au début du film (dès la première scène, on cache un rire derrière un symptôme d’allergie), la réalisatrice norvégienne Itonje Søimer Guttormsen nous emmène vers quelque chose de plus singulier encore.

Gritt est incapable de trouver les mots clairs pour présenter son ambitieux projet artistique, une pièce qui pourrait sauver le monde. Cela pourrait n’être qu’un gag, mais l’actrice Brigitte Larsen apporte à son personnage une telle intégrité, têtue et poignante à la fois, que celle-ci n’est jamais le dindon de la farce. Elle est plutôt la capitaine de son propre navire qui tangue sévèrement. Autour de nombreux gros plans qui ancrent cette héroïne au cœur du film, le montage est rapide et nerveux, angoissé et angoissant en même temps. A force de rejets et de fausses routes, Gritt se retrouve repoussée à la marge de sa propre vie. La réalité autour d’elle devient de plus en plus claustrophobe, éprouvante, et quand elle dit que l’Armageddon est prévu d’une seconde à l’autre, on ne peut que partager sa nervosité.

Le film débute avec les deux pieds dans le réel : on y fait référence à de véritables artistes, on croise l’affiche dédicacée d’un film norvégien présenté à Cannes (Norway of Life, dans lequel jouait déjà Larsen), et les acteurs y jouent des versions d’eux-mêmes plutôt que des rôles de compositions. Mais à mesure que la caméra quitte Brooklyn pour Oslo, puis pour s’enfoncer profondément dans la forêt norvégienne, le film entier change de peau. A la recherche d’une porte de sortie face à une pression sociale et une injonction à la normalité, qu’elle vit comme une prison, Gritt est de plus en plus attirée par un étrange chant de sirène.

Comme frappé d’un envoutant sortilège, le film entier bascule dans un décrochage saisissant. D’angoissant et émouvant à la fois (un mélange déjà balèze, même si parfois pesant et longuet), le film devient alors magique. La nature-même des images change, et l’excellente musique composée par Anneli Drecker épouse cette métamorphose, ajoutant à des cordes intranquilles de mystérieux chœurs venus d’ailleurs. Gritt ne raconte pas seulement une renaissance, mais un bouleversant et gigantesque changement de paradigme. A force de dérive, Gritt brise la malédiction de la normalité, renverse le poids du capitalisme et du patriarcat comme par enchantement, et compose son propre élixir pour bel et bien sauver le monde. Oui, rien que ça.

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par Gregory Coutaut

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