Critique : Notre corps

J’ai eu l’occasion de filmer à l’hôpital l’épopée des corps féminins, dans leur diversité, leur singularité, leur beauté tout au long des étapes sur le chemin de la vie. Un parcours de désirs, de peurs, de luttes et d’histoires uniques que chacune est seule à éprouver. Un jour j’ai dû passer devant la caméra.

Notre corps
France, 2023
De Claire Simon

Durée : 2h48

Sortie : 04/10/2023

Note :

LES MAUX SONT NOS VIES

On ne peut pas dire que la France soit avare de documentaires et reportages sur l’univers hospitalier. Rien que ces derniers mois, et rien que parmi les productions françaises passées sur grand écran, on peut citer la poésie de Sur l’Adamant, le réalisme d’Etat limite ou encore les expérimentations de De humani corporis fabrica. Il n’y a peut-être que les films sur l’école à être aussi récurrents dans notre imagerie documentaire nationale. Notre corps n’est pourtant pas qu’un film de plus dans cette longue liste. Porté par un équilibre inattendu entre un regard empathique et une approche formelle d’une sobriété radicale, ce documentaire-fleuve est l’un des exemples des plus percutants du genre.

Ils sont nombreux et divers, les services de l’hôpital Tenon de Paris traitant de pathologies gynécologiques et de questions exclusivement féminines. Pourtant, le dispositif de la cinéaste Claire Simon demeure d’une même simplicité scène après scène. Chacun d’un côté d’un bureau, patientes et professionnelles échangent. Chez les premières, on entend le besoin d’être entendue et d’avoir des réponses. Chez les autres, on capte la chaleur derrière le professionnalisme, l’empathie sous le jargon. Quelques hommes, médecins ou accompagnants, sont bien présents mais la grande majorité des personnes filmées sont ici des femmes.

Le sentimentalisme pourrait poindre mais Simon freine comme il faut : chaque patiente a droit à une scène détaillée et bienveillante mais à rien de plus. Chaque cas soulève de passionnantes questions, allant des violences gynécologiques aux vécus des personnes trans, mais Simon sait préserver la dignité de ces personnes réelles en évitant d’en faire des personnages au service de son propre point de vue. Nous ne partageons le suivi médical de personne. Personne… ou presque, car Notre corps réserve une surprise de taille à mi-chemin.

Au cours du tournage, Claire Simon a dû elle aussi avoir recours à des soins à l’hôpital Tenon et faire face à un diagnostique imprévu. Dans un effet immersif saisissant, la cinéaste inclut son parcours dans le film. Ce basculement intime donne beaucoup de personnalité au long métrage. L’effet de réel est puissant, rarement vu ailleurs, mais Simon n’évite pas toutes les maladresses. Gardons le dénouement secret, mais l’enchainement abrupt de son diagnostic final avec la destinée d’autres malades est d’un goût suspect, au timing presque involontairement comique. Quant à la scène où une patiente dit à la caméra « Claire Simon, c’est génial », elle indique que la cinéaste ne se met pas tant que ça sur le même plan que celles qu’elle filme.

Ce surgissement malvenu de l’égo mérite d’être cité, mais cela ne veut pas pour autant dire qu’il éclipse le film dans son intégralité. Même avec ses imperfections, Notre corps demeure un film qui mérite largement le regard, ou plutôt l’écoute, car c’est de cela dont il est question avant tout ici : le simple fait d’avoir un cadre pour s’exprimer ou parler de soi est déjà une forme de soin. Voilà un documentaire accueillant et chaleureux malgré (ou peut-être justement grâce à) son dispositif sans compromis.

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par Gregory Coutaut

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