Critique : État limite

Comment bien soigner dans une institution malade ? Dans un hôpital de la région parisienne, le Dr. Abdel-Kader, psychiatre de liaison, navigue des Urgences au service de réanimation, de patients atteints de troubles mentaux à ceux qu’une maladie chronique retient alités. En dépit des impératifs de rendement et du manque de moyens, il s’efforce d’apaiser leurs maux.

État limite
France, 2023
De Nicolas Peduzzi

Durée : 1h43

Sortie : 01/05/2024

Note :

URGENCES

Après deux premiers documentaires qui se déroulaient dans le sud des Etats-Unis (Southern Belle et Ghost Song), le Français Nicolas Peduzzi a tourné son nouveau film Etat limite beaucoup plus proche de nous : à Clichy, en banlieue parisienne. Le long métrage se passe à l’hôpital Beaujon où nous suivons le quotidien de Jamal, un jeune psychiatre. L’une des premières images d’Etat limite est un tatouage gravé sur une nuque : un symbole marche/arrêt sur la peau d’un soignant, suggérant malicieusement qu’il s’agit peut-être d’un robot. Est-on si loin de la réalité ? Il est effectivement tellement demandé au personnel qu’on en oublierait – ou plutôt que le pouvoir oublierait – que ce ne sont pas des machines mais des humains après tout.

Le film traite, comme on peut s’y attendre, des moyens très réduits dont disposent les soignants pour répondre dignement aux besoins de leurs patient.e.s. Etat limite peut marcher comme un diptyque avec le tout récent Sages-femmes de Léa Fehner : le doc contre la fiction, l’aspect psychiatrique contre la maternité, mais des problématiques assez communes. Le fait de suivre ici un psychiatre pose des questions spécifiques : comment soigner les corps certes, mais aussi comment trouver les mots dans des situations de détresse extrême ? Comment fait-on face à de permanentes questions de survie ? Comment le corps médical peut-il composer avec les doutes, les contradictions, les désaccords entre collègues ?

Le tourbillon ne semble jamais s’arrêter, le relais en quelques respirations est parfois pris par des photos, des images fixes ; plus tard le flux tendu est restitué par un split-screen. Certains éléments de dramatisation (comme la techno tonitruante qui accompagne le début du film) peuvent paraître discutables. Mais le cinéaste, tout en embrassant les difficultés de son sujet, sait aussi quand filmer, se détourner, écouter. La question de la possible gêne venant de la caméra est abordée. Une caméra qui saisit également l’épuisement des médecins – Jamal qui a le sentiment de « marcher comme un vieillard » dans les escaliers qu’il monte et descend.

Le film tend un miroir au monde dans lequel nous vivons, c’est un reflet sans fard, sans romantisation. Jamal évoque la déconstruction de sa vocation pour la fonction publique. C’est le portrait d’un système exsangue, épuisé par des décisions politiques. « Ils n’en ont rien à faire si les patients meurent, si vous, vous mourez » confie un grand psychiatre au protagoniste du film. « Vous remplissez une case vide ». Face à ce cynisme et dans un tel marasme, Etat limite cherche et trouve avec succès ce qu’il reste d’humain, et de lien entre les humains.

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par Nicolas Bardot

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