Festival Cinélatino | Critique : El Profesor

Professeur de philosophie, Marcelo est secoué par la mort de son mentor mais cela ne l’empêche pas d’espérer hériter rapidement de son poste à l’université. Or, un inconnu est également sur le coup : un professeur plus jeune, plus beau et charismatique que Marcelo.

El Profesor
Argentine, 2023
De María Alché et Benjamín Naishtat

Durée : 1h47

Sortie : 03/07/2024

Note :

L’ANCIEN ET LE MODERNE

El Profesor est un long métrage signé à quatre mains. Le film est coréalisé par la cinéaste María Alché, qui s’est fait connaitre il y a une vingtaine d’année en interprétant le rôle principal de La Niña santa de sa compatriote Lucrecia Martel, et par Benjamin Naishtat, auteurs des brillants Historia del miedo et Rojo. Couple à la ville, le duo travaille pour la première fois ensemble derrière la caméra, et le résultat ne ressemble pas vraiment aux films précédents de l’un ou de l’autre. Le sérieux et l’ambition narrative de leurs œuvres précédentes laissent place à un genre inattendu pour le duo : une comédie.

Mais pour qui suit l’évolution contemporaine du cinéma argentin, ce virage n’est peut-être pas une si grande surprise que cela. Dans les années 2000, une nouvelle génération de cinéastes (avec Martel à sa tête) venait remettre leur pays sur le devant de la scène du cinéma d’auteur à coups de portraits métaphoriques, politiques et noirs. Le ton particulier qu’avaient en commun beaucoup de ces films s’est tari, le cinéma de chacun a évolué et de nouveaux cinéastes sont arrivés (Moguillansky, Llinás, Citarella…) avec un vent de folie rendant leurs œuvres souvent imprévisibles et cocasses. S’il n’appartient pas à la même famille méta-narrative que ces derniers, El Profesor fait partie de ces films argentins qui ont intégré le pouvoir narratif de l’humour, tout en le (mal)traitant à leur manière.

A propos d’El Profesor comme d’autres films argentins tout frais de 2023 (La Practica, Arturo a los 30 ou d’une certaine manière d’Adentro mío estoy bailando), on pourrait parler de comédie dépressive. Dans la première scène du long métrage, un homme fait un AVC mais la musique qui accompagne ce moment évoque celle d’une sitcom familiale. A l’aide d’un habillage musical gentiment décalé, de fondus au noir à l’ancienne, la mise en scène d’ Alché et Naishtat propose plusieurs petits pas de côté qui mélangent sourire et malaise. Ou plutôt qu’ils superposent l’un à l’autre dans un même ton.

Marcelo est sûr de son savoir philosophique et politique, et sûr également des égards que cela devrait lui conférer. Pris dans une joute philosophique entre ancien et moderne, sa frustration possède quelque chose de pathétique et poignant. Le duo de cinéastes conserve sur lui un regard bienveillant. Cette manière élégante de freiner avant la moquerie fait merveille dans une scène pourtant impossiblement grotesque sur le papier, à base de couche souillée, mais elle retient un peu trop l’ensemble aux moments où tout pourrait basculer dans une folie plus grande, plus fascinante, plus unique. Est-ce pour laisser aux spectateurs ce privilège : entre mordant moderne et fable classique, les auteurs choisissent finalement de ne pas choisir. La pirouette est-elle frustrante ou généreuse ? A chacun de choisir son camp, sans doute.

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par Gregory Coutaut

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