Films de Femmes de Créteil | Critique : Sweet Dreams

Lorsque Jan, un patriarche néerlandais propriétaire d’une plantation, meurt brusquement en Indonésie, son fils arrive d’Europe avec des projets de changement radical. Mais lorsque le testament de Jan place sa concubine indonésienne, Siti, à la tête de la propriété familiale, les idéaux s’avèrent vains et le sang plus épais que l’eau.

Sweet Dreams
Pays-Bas, 2023
De Ena Sendijarević

Durée : 1h42

Sortie : –

Note :

NOUS, LES HÉRITIERS

Pas de cadeau pour les déracinés. C’était déjà le constat doux-amer de Take Me Somewhere Nice, sympathique premier long métrage de la réalisatrice Bosnienne basée aux Pays-Bas Ena Sendijarević (lire notre entretien) . Ce récit de vacances européennes d’une jeune fille à la double nationalité donnait lieu à une exploration des jeux de pouvoir absurdes cachés dans des lieux supposément paradisiaques. L’action de Sweet Dreams ne se déroule plus en Europe mais en Indonésie, à l’époque où la colonisation néerlandaise touche à sa fin. Fils d’un riche propriétaire de plantation soudainement décédé, Cornelius arrive après un long voyage sur les terres asiatiques dont il se voit déjà hériter, mais décidément les cadeaux ne tombent pas du ciel.

Lorsque débute Sweet Dreams, on ne sait pas très bien si l’on se trouve effectivement en plein rêve ou plein cauchemar. Engoncés dans des tenues trop luxueuses et lourdes pour la moiteur tropicale qui les entoure, de riches Européens en fin de règne s’agitent en vain. Dans sa demeure de rêve, Agathe croit cauchemarder en voyant son époux Jan porter toute son affection sur le fils illégitime qu’il a eu avec une domestique indonésienne. Quand Jan décède soudainement et que débarque alors de Hollande Cornelius, son fils biologique, les rêves pécuniers de ce dernier tournent au vinaigre en apprenant la glaçante nouvelle : Jan a fait de son fils métisse l’unique héritier de son empire. Trop pauvres pour se payer le retour vers la mère patrie, Cornelius et sa mère se retrouvent alors face à leurs domestiques et aux travailleurs de la plantation, tous furieux de ne pas avoir été payés depuis près d’un an. Et comme si ça ne suffisait pas, voilà que le corps du patriarche disparait de sa tombe.

De l’Amérique Latine (Tous les morts) à l’Afrique (Tommy Guns, Good Madam) ou au Pacifique (Pacifiction), le cinéma contemporain utilise régulièrement le filtre du fantastique pour aborder la violence absurde de la colonisation et ses conséquences. Sweet Dreams ne franchit jamais le pas vers le conte surnaturel, n’exploitant pas tout le potentiel de ce début de récit très prometteur. Cela n’empêche par pour autant Ena Sendijarević de faire un sacré pas de côté face au réalisme attendu de la part d’un film historique, mais son décalage s’exprime dans un autre ton que celui de la peur. Il s’agit plutôt d’un humour pince-sans-rire et grotesque, une atmosphère joyeusement malpolie où la cinéaste fait preuve d’un goût contagieux pour l’ambiguïté qui peut évoquer Jessica Hausner.

Le point de vue tranchant de la cinéaste sur cette page de l’Histoire de son pays adoptif se retrouve moins dans son scénario qui peine à maintenir tout du long la tension et la paranoïa nécessaires. On le retrouve surtout dans ses partis-pris esthétique. Devant sa caméra, ce dernier combat pathétique revêt en effet des couleurs pop et saturées, presque irréelles. Entourés de cadrages stricts et fantasques à la fois, les protagonistes ressemblent moins à de nobles héros de portraits royaux qu’à des personnages de bande dessinée, prêts à être oubliés dès la page tournée. Ces choix artistiques forts, qui donnent au film beaucoup de personnalité, pourraient prendre le pas entièrement sur le sujet, mais ils viennent plutôt l’enrichir d’un point de vue contemporain moqueur et bienvenu.

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par Gregory Coutaut

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