Le Festival des 3 Continents s’est achevé ce weekend et vous avez pu le suivre comme chaque année sur Le Polyester. Nous revenons sur les temps forts de cette 45e édition.
Dix longs métrages en première française figuraient cette année en compétition au festival et c’est notre coup de cœur The Shadowless Tower du Chinois Zhang Lu qui a remporté la Montgolfière d’or. Dévoilé en début d’année en compétition à la Berlinale, ce drame existentiel raconte les doutes et tourments d’un critique gastronomique : Zhang compose un singulier portrait familial brisé, avec un travail remarquable sur le son et les décors qui semblent sans cesse sur le point d’avaler les protagonistes. The Shadowless Tower reste, à notre connaissance, sans distributeur français. On pourra en revanche voir courant 2024 l’une des réussite de cette compétition : La Mélancolie du Japonais Takuya Kato (lire notre entretien) qui a justement reçu le prix de l’aide à la distribution. Ce drame élégant et amer dessine le portrait d’une jeune épouse qui doit faire un deuil silencieux et interdit : celui de son amant. Également primé, Le Spectre de Boko Haram de la Camerounaise Cyrielle Raingou (lire notre entretien) a été remarqué toute l’année en festivals, notamment à Rotterdam où il a obtenu le Grand Prix. Toujours en compétition, on retiendra le mystérieux Rapture de l’Indien Dominic Sangma et l’épuré Talks Overnight de la Chinoise Su Qiqi.
Sans mésestimer les films présentés en compétition, l’un des principaux attraits du Festival des 3 Continents réside dans ses rétrospectives de films rares. À l’affiche de cette 45e édition figure la cinéaste sénégalaise Safi Faye, dont la rétrospective était déjà prévue au moment de sa mort en février 2023. En 1976, elle devenait la première femme d’Afrique sub-saharienne à réaliser un long métrage : Lettre paysanne. La première phrase dite par Faye dans le film n’est pas anodine : « voici mon village, mes parents agriculteurs éleveurs, ma grande famille ». Faye, en tant que première concernée, se réapproprie des images habituellement portées par d’autres regard. Elle raconte la vie simple, le travail répété, les discussions quotidiennes. La fiction Mossane s’inscrit davantage dans les codes du conte mais rejoint une démarche similaire : qui regarde et qui raconte ? « Laissez-moi prendre la parole bien que ce soit contraire à la coutume » dit la jeune héroïne – on pourrait presque entendre la voix de la cinéaste. Pourquoi Mossane serait-elle une diablesse, simplement parce qu’elle souhaite épouser celui qu’elle aime ? Faye raconte la solitude et la détresse de la jeune fille, demeurant à son chevet tandis que le monde reste sourd. La réalisatrice était au centre du festival, qui a fait le relai d’une voix et d’une filmographie encore peu diffusées.
Encore plus rares : les films de l’anthologie consacrée au cinéma vietnamien des années 70 jusqu’au début des années 90. Parmi ces longs métrages se distingue notamment Piège d’amour, réalisé par Pham Loc en 1992. Derrière le drame historique se cache un triangle amoureux interdit et porté par de grands sentiments, tout cela dans une maison hantée traversée par une vénéneuse tension de thriller. C’est la surprise de cette rétrospective qui contenait plusieurs films populaires, comme la fresque guerrière Enfance orageuse de Nguyen Vinh Son ou le récit d’apprentissage enfantin La Lampe dans le rêve de Do Minh Tuan. Moins didactique que les deux précédents films cités, le superbe Fairytale for a 17-Year-Old Girl de Nguyen Xuan Son raconte la guerre mais loin du front, du point de vue d’une adolescente. Ce film visuellement superbe et habité par une grande poésie est à redécouvrir.
Aux films populaires que l’on pouvait trouver parmi l’anthologie vietnamienne s’ajoutent ceux de la filmographie aussi riche que méconnue de la cinéaste hongkongaise Ann Hui. Un temps sélectionnée à Cannes au début des années 80, Ann Hui n’a jamais cessé de tourner même si aucun de ses films du 21e siècle n’a été distribué en France hormis le magnifique Une vie simple, qui fut primé à la Mostra de Venise. Le Festival des 3 Continents a permis de mesurer l’éclectisme d’une cinéaste dont les œuvres peuvent aller du polar cruel (The Story of Woo Viet) au drame sentimental (Love in a Fallen City) en passant par des films qui changent totalement de registre en cours de route (The Post-Modern Life of My Aunt, qui va de la comédie clownesque au drame amer). Un spectre encore élargi par certains films qui n’étaient pas au programme de cette rétro, tel son premier film The Secret et son aura fantomatique. Une autre figure à la fois populaire et paradoxalement peu diffusée en France était également à l’honneur du festival : l’acteur indien Amitabh Bachchan, parangon de méga-star mondiale dont une large partie de la filmographie demeure méconnue chez nous.
Autant de motifs pour mesurer l’importance de ce festival, qui a également permis de redécouvrir (on y revient !) un cinéaste populaire et mal connu dans l’hexagone : le Hongkongais Yonfan dont la comédie queer Bugis Street était présentée en version restaurée. Réalisé au milieu des années 90, ce récit généreux et galvanisant raconte le parcours d’une jeune fille candide venue à la meilleure des mauvaises écoles : celle d’un hôtel de Singapour peuplé de travailleuses du sexe trans et de flamboyantes drag-queens. Le film trouve toujours le bon point de vue, à la fois chipie et bienveillant, camp et politique. On espère entendre toutes ces voix amplifiées dans le futur.
Nos entretiens
. « Avec les enfants, il y avait ce grain de folie, cette innocence, cette envie de réussir, cette lumière qui me permettaient d’approcher une situation très dramatique avec légèreté » : notre entretien avec Cyrielle Raingou, réalisatrice du Spectre de Boko Haram
. « Je voulais parler de cette tendance de la société japonaise actuelle qui est de détourner le regard, de ne pas vouloir voir les choses en face » : notre entretien avec Takuya Kato, réalisateur de La Mélancolie
Nos critiques – compétition
Critical Zone de Ali AHMADZADEH (Iran)
La Mélancolie de Takuya KATO (Japon)
Rapture de Dominic SANGMA (Inde)
The Shadowless Tower de ZHANG Lu (Chine)
Le Spectre de Boko Haram de Cyrielle RAINGOU (Cameroun)
Talks Overnight de SU Qiqi (Hong Kong)
Nos critiques – hors compétition
All The Colours Of The World Are Between Black And White de Babatunde APALOWO (Nigeria)
Los Delincuentes de Rodrigo MORENO (Argentine)
La Mère de tous les mensonges de Asmae EL MOUDIR (Maroc)
Un jeune chaman de Lkhagvadulam PUREV-OCHIR (Mongolie)
Notre page spéciale
Le palmarès
En illustration principale : Lettre paysanne, Piège d’amour, Bugis Street et The Post-Modern Life of My Aunt. Un grand merci à Florence Alexandre et Vanessa Fröchen.
Nicolas Bardot
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