Critique : La Mère de tous les mensonges

Casablanca. La jeune cinéaste Asmae El Moudir cherche à démêler les mensonges qui se transmettent dans sa famille. Grâce à une maquette du quartier de son enfance et à des figurines de chacun de ses proches, elle rejoue sa propre histoire. C’est alors que les blessures de tout un peuple émergent et que l’Histoire oubliée du Maroc se révèle.

La Mère de tous les mensonges
Maroc, 2023
De Asmae El Moudir

Durée : 1h37

Sortie : 28/02/2024

Note :

PAS DE QUARTIER

« Je vis ma vie, alors occupe-toi donc de la tienne ». La réalisatrice marocaine Asmae El Moudir a réalisé La Mère de tous les mensonges pour parler des membres de sa famille, mais on ne peut pas dire que ces derniers trépignent d’impatience d’être filmés. On les voit certes beaucoup à l’image mais on ne les entend guère, et c’est justement ce silence qui a poussé la cinéaste à mener son enquête pendant près d’une dizaine d’année, qui l’a poussée à détricoter « le crescendo de mensonges » selon sa propre formule.

Sa famille s’exprime peu, râle beaucoup, mais elle participe activement à construire un élément clé du film : une maquette réaliste du quartier de Casablanca où tous habitaient au moment des années de plomb au début des années 80. Un peu comme Les Filles d’Olfa, également présenté à Cannes cette année, La Mère de tous les mensonges fait partie de ces documentaires qui font l’audacieux pari narratif de passer par la mise en scène d’une fiction pour aboutir à la vérité. Ces décors de poche aux couleurs vives et silhouettes naïves évoquent certains documentaires de Rithy Panh tels L’Image manquante ou Everything Will Be Ok, et comme le cinéaste cambodgien, El Moudir part d’une petite échelle pour dévoiler une amnésie nationale, aux dimensions bien plus grande qu’une histoire de famille.

Ce qu’elle offre en revanche de différent, c’est une certaine dose d’humour. Est-ce pour désamorcer la gravité du sujet ? Présente en voix off, la cinéaste a en effet tendance à finir ses phrases en chuchotant telle une fillette, mais ce gimmick récurrent devient un tantinet agaçant. A l’inverse, la matriarche de la famille n’a pas besoin de forcer sa vraie nature pour dépasser du cadre du documentaire. Vieille râleuse de première, cette dernière traverse le film avec une énergie irrésistible en engueulant tout le monde, au point qu’on se fait nous aussi tout petits dans nos fauteuils de spectateurs. Sa présence résume à elle seule la personnalité de ce curieux documentaire, qui tangue entre chaleur pittoresque et brutalité des souvenirs.

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par Gregory Coutaut

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